vendredi 31 octobre 2008

SON NOM EST GAL



Parmi les voix féminines que je désirais entendre "ao vivo" Gal Costa figurait en bonne position! C'est chose faite depuis hier soir car j'ai pu l'applaudir au théâtre Gran Rex de Buenos-Aires où elle donnait une récital pour guitare et voix dédié aux grands succés de sa carrière et à un inévitable hommage à la Bossa Nova dont on célèbre les cinquante ans. Le show fut un enchantement total. Une Gal rayonnante et en pleine maîtrise de sa voix dont les fêlures et miaulements ont un charme inoui, un répertoire étourdissant de chansons plus belles les unes que les autres, portées par l'unique guitare d'un musicien hors pair (son nom m'a échappé, mais chapeau!)...un public conquis d'avance qui dans un touchant portuñol accompagnait à l'unisson les grands standars: "Corcovado", "Desafinado", "Vatapa", "Festa do interior"... C'est merveilleux de voir comment les vibrations de cette musique brésilienne parcourent une salle de trois mille personnes et parviennent à créer une bulle d'intimité si fragile que chacun retient son souffle puis laisse éclater sa joie en chantonnant naïvement. Il y a un véritable et inépuisable miracle de la bossa nova, puis du tropicalisme qui ont fait naître tant de chansons essentielles car aussitôt communiquées à nos affects, notre mémoire, nos rêves. Pour moi chacune est une carte postale de ma vie brésilienne, lumineuse, éternelle, toujours fluide dans mon sang, toujours source de joie et de saudade...
A fleur de peau et par radiations caressantes, comme le soleil avec ses rayons, c'est ainsi que ces chansons nous touchent, nous atteignent et nous marquent d'émotions où l'on ne sait plus si les larmes sont dues à des douleur sourdes ou un état de grâce. On ressort purifié d'un pareil récital, plus léger et plus juste, plus en harmonie avec le monde à l'image de ce que sont ses chansonnettes de la bossa nova, ce "truc nouveau" qui n'en finit pas de nous donner le goût de l'éphémère Felicidade...


un extrait volé du concert à Buenos-Aires

http://www.youtube.com/watch?v=jQxUH0wPUN8

Gal dans sa splendeur tropicaliste avec Tom Jobim au piano

http://www.youtube.com/watch?v=zY_0a9DUhIQ

jeudi 30 octobre 2008

SOEUR EMMANUELLE DE CUBA

Non ce n'est pas une canonisation nouvelle en provenance de cette île ravagée par un totalitarisme obsolète et moribond! Mais plutôt une "beartification" de la belle Emmanuelle, la Fidèle à la vraie liberté de mouvoir son corps et de faire voyager nos pensées les plus émancipées! La Béart, belle et béante dans un livre de photos de Sylvie Lancrenon qui semble fait pour nous faire transpirer et défaillir comme le vrai soleil caraïbe. L'actrice s'y livre, s'y libère, s'y offre avec une générosité qui n'est pas que charnelle. Cette manière de se donner et de faire de son corps une baie (non pas aux cochons!) mais à tous les abordages érotiques me semble le prolongement naturel, voire le principe même de son métier d'actrice et de son essence, j'allais dire féminine, mais je rectifie, humaine tout simplement. Le nu, quand il découle d'une anatomie aussi favorisée par la nature, où se lit la santé, l'harmonie (même aidée par les bistouris!), la sensualité à fleur de peau, me semble devoir faire l'objet d'un culte le plus massif. (pas de mauvais jeu de mot ici, please!).C'est un gros coup publicitaire certes, mais il est aussi un éloge de la femme de quarante ans, de l'intimité érigée en valeur absolue quand elle est cultivée avec douceur, langueur et délicatesse.

Elle montre son cul? Oui et nous lui disons bravo et merci car c'est bien là ce que la nature nous a donné de plus tendre et attractif, un cadeau à soigner et à faire partager. Le vrai communisme commence ici-bas, qu'on y pense à Cuba aussi! On ne peut que célébrer un si célèbre cul qui nous incite par ses rondeurs à déployer des trésors de tendresses et d'envies de caresses. Soeur Emmanuelle est bien vivante et sait l'art de nous laisser béat et babas.

mardi 28 octobre 2008

CHANSONS QU'UN HOMME NE DEVRAIT PAS CHANTER

Cette phrase est une remarque émise par Edith Piaf à l'écoute du "Ne me quitte pas" de Jacques Brel. Supplier, pleurer, s'offrir, s'humilier par amour...si peu viril en vérité? Ce n'est pas ce que pense l'auteur compositeur et interprète argentin Gabo Ferro qui intitula son premier opus "Canciones que un hombre no deberia cantar". Edité et diffusé quasi confidentiellement il devint rapidement le disque de l'année 2005 selon les amateurs éclairés et la sacro-sainte presse spécialisée. De même les auditeurs ayant eu la chance de voir sur les scènes underground de Buenos-Aires cet artiste au charisme rare, ne se trompèrent pas. Gabo Ferro avec sa voix surprenante de falsete, mais qui rôde parfois du côté de graves plus âpres et rugueux, est vraiment un mélodiste à part et un poète urbain de la meilleure veine. Récits intimes et impudiques, cris de colère ou déclarations d'humour, ses textes expriment un romantisme contemporain, dépouillé d'effets et imprégné de sincérité. Il sait passer d'un registre mélancolique et subtil à des épanchements soudains entre le cri et quelque chose qui pourrait s'apparenter au chant du gaucho dans la plaine! C'est que l'influence de la musique folklorique s'entend aussi dans sa guitare qui parfois aussi s'acoquine avec un rock plus pop et même matinné d'arrangements électroniques. Sa liberté et variété musicales sont une traduction directe de l'esprit d'ouverture de l'auteur et de l'homme tel qu'il s'affiche. Par ailleurs docteur en Histoire, il vient de publier un livre intitulé " Sangre, monstruos y vampiros durante el segundo gobierno de Rosas" preuve de l'éclectisme brillant du bonhomme. A suivre, la critique de sa performance sur scène le 21 NOvembre au théâtre NDAteneo.

http://www.myspace.com/gaboferro

lundi 27 octobre 2008

SWANN IN LOVE

Revu le film de Schlondorff "Un amour de Swann" que j'avais découvert il y a vingt ans sans avoir lu la "miniature géante" qu'est ce récit digressif incrusté dans La recherche. Evidemment la connaissance de l'oeuvre permet de savourer le film dans ses moindres détails et de voir comment les brillants scénaristes Jean-Claude Carrière et Peter Brook ont cherché non seulement à transcrire cette narration de l' amour malheureux d'un dandy pour une cocotte mais aussi à donner à l'ensemble une dimension véritablement proustienne en enrichissant l'épisode Swann/Odette de subtiles références au reste de l'oeuvre et à la propre existence de Proust. Ainsi Swann qui nous est montré tout au début dans son lit en train d'écrire devient-il dans le film, un double parfait du narrateur-auteur, éternel alité occupé à son manuscrit et méditant sur ses peines de coeur. Le parcours de Swann, snob et paria, qui pourrait être le père spirituel du narrateur, préfigure les amours douloureuses pour Gilberte ou Albertine, que le désir d'exclusivité et la jalousie consécutive rendront impossibles. Jérémy Irons est absolument crédible dans ce rôle avec son élégance anglaise et ses émotions rentrées qui soudain explosent dans ces scènes d'hystérie. Ornella Muti resplendissante en Odette apporte sa présence charnelle hypnotique et un faux air d'ingénue qui convient à la duplicité de la demi-mondaine. De plus elle a vraiment ce charme renaissance de la Zéphora de Botticelli qui a permis à Swann de cristalliser sa passion sur une femme "qui n'était même pas son genre".

En Oriane, Fanny Ardant fascine comme toujours, bien que le personnage eût dû posséder la blondeur et le profil aquilin des Guermantes. Mais sa classe féline et aristocratique et son magnétisme irrésistible lui permettent d'incarner une impeccable duchesse. La scène où Swann lui annonce sa mort prochaine est absolument réussie (bien qu'elle figure je crois dans "Du côté de Guermantes"). Ardant dans sa robe rouge sang y fait preuve de toute la morgue et la cruauté que dégageait cet oiseau de proie.



Mais c'est Alain Delon que l'on attendait en Baron de Charlus, l'inverti chic et arrogant. Une fois passée la bonne surprise d'un Delon poudré et emmoustaché qui évite à peine l'écueil de la folle snob, on est contraint de constater que les talents d'acteur du bel Alain ne lui permettent pas de comprendre son personnage éminent subtil, ni son jeu d'échapper à des tics faciles. Curieux car Delon dans sa jeunesse a dû bien fréquenter ce modèle de séducteur élitiste et raffiné, mais il n'est pas parvenu à s'en souvenir pour traduire toutes les nuances d'une pareille figure mondaine, ni à en suggérer la profondeur cachée sous le scintillement des effets de style.



La grande réusite du film demeure enfin dans la mise en scène des atmosphères Belle Epoque: salon Guermantes, Hôtel Le Ritz, jardin des tuileries, intérieurs somptueux ou rococo, tous nimbés d'une lumière soyeuse et nostalgique qui n'est pas sans évoquer le propre style de Proust, autant soucieux d'un art du détail que d'une harmonie et fluidité générales. L'oeuvre cinématographique relève le défi de traduire un récit où l'analyse psychologique est dominante et réussit à restituer l'esprit de l'auteur, auquel l'hommage rendu pâtit parfois d'un excés d'esthétisme au détriment de l'ironie. Mais il faut reconnaître à la fin que c'est vraiment un amour de film et que l'on prend un bain proustien avec autant de plaisir qu'une madeleine en aurait à se tremper dans une infusion au tilleul.

dimanche 26 octobre 2008

PHOTOGRAPHIES PROUSTIENNES

C’est le hongrois Brassaï, photographe célèbre et proustien passionné, qui dans son essai « Proust et la photographie » a le premier souligné la place prépondérante de cet art dans la vie et l’œuvre de l'écrivain. Comme les tableaux, les photographies font l’objet d’une tradition familiale et Proust n’aura de cesse de les collectionner soigneusement dans des albums qu’il consultait et montrait à tous ses proches avec une insistance parfois pénible. Il avait pour manie d’en réclamer compulsivement à ses amis, d’en échanger et d’en obtenir toujours de nouvelles. En effet posséder la photographie des êtres aimés jouaient chez lui un rôle de substitut à leur absence et de support fétichiste à une adoration contemplative qui seule calmait ses angoisses. Voir des êtres de rêves, empêcher les autres de les regarder, admirer jusqu’à l’extase… tout cela devient possible grâce au papier photographique qui capture les belles et en fait de sublimes prisonnières. Il est d’ailleurs amusant de constater à quel point le vocabulaire de la photographie correspond aux grandes obsessions de l’auteur : chambre noire où l’on attend le baiser de maman et où l’œuvre s’écrit, instantanés des émotions et des êtres que l’on cherche à capturer, révélation du sens caché des choses par le biais de la mémoire involontaire que l’écrivain cherche à fixer dans ses métaphores, comme le photographe le fait avec ses images. Proust compare du reste son ouvrage à une espèce « d’instrument optique offert au lecteur afin de lui permettre de discerner, ce que sans le livre, il n’aurait peut-être pas vu par lui-même».


Brassaï analyse avec soin les occurrences du thème photographique dans La recherche et en arrive à la conclusion que la plupart des grands moments dramatiques de la narration, tournent autour d’une photographie. Celle-ci catalyse la passion amoureuse comme c’est le cas pour les portraits de Gilberte, la duchesse de Guermantes ou Albertine, portraits que le narrateur brûle de posséder car ils immortalisent des êtres de rêves et alimentent son érotomanie mieux que les modèles vivants. Cette relation de fétichisme avec le support photographique trouve son sommet dans l’œuvre, avec la fameuse scène de Montjouvain qui révèle à quel point le sadisme et le voyeurisme sont des thèmes centraux de l’œuvre. Il est question dans cette scène située dans la première partie de l’œuvre « Du côté de chez Swann », de la fille du musicien Vinteuil qui reçoit chez elle sa maîtresse et s’adonne avec celle-ci à un jeu érotique. Pour atteindre l’extase, le rituel consiste à faire que sa compagne crache sur la photographie du père décédé, savamment disposée prés du sofa où elles s’ébattent. Scène indécente et terrible que le narrateur enfant observe par hasard et en cachette, devant la fenêtre de la chambre des filles, dans une position de voyeur absolu.
Cette pratique de voyeur sera ensuite une constante dans le récit : le narrateur observe, scrute, espionne avec indiscrétion et compulsion ses semblables qui sans le savoir prennent la pose devant lui pour l’éternité. Du voyeurisme à l’exhibitionnisme, le pas est vite franchi. Dans sa biographie sur Proust, Georges Painter raconte que celui-ci adorait exhiber à ses fréquentations les photographies de ses amies parmi les grandes dames parisiennes ou bien des membres de sa famille, et particulièrement parmi ses fréquentations, aux garçons du bordel pour homme d’Albert Cuzay ( le Jupien de La recherche) lesquels commentaient les photographies des êtres chers par des commentaires vulgaires et dégradants, répétant ainsi la scène de profanation de Montjouvain.

Sans descendre plus bas dans les chambres noires des turpitudes de l’écrivain, revenons pour conclure à Brassaï qui le décrit quant à lui comme une espèce de « photographe mental cherchant à rendre visible l’image latente de toute sa vie dans cette photographie gigantesque que constitue son œuvre.» (photos de Brassaï sauf le portrait de Proust)

samedi 25 octobre 2008

CHANSON POUR LOU ANDREAS-SALOME



Quels hommes épris et éconduits par la belle se cachent sous les voix des différentes strophes? Facile!

LETTRES A LOU

Lou, allongez votre nom
Sur le divan bleu du non-dit, je le veux
Lou, votre âme est une nuit
Une terre inconnue pour qui joue le jeu
D’aimer souvent
Aussi souvent que le veut le sang
Quand les désirs de Lou font la cour
Au grand méchant amour


Lou, sur mes carnets ton nom
Rime avec des mots interdits, dangereux
Lou, O ma triste égérie
Là sous la glace de ton lit, brûle un feu
T’aimer vraiment
C’était descendre au fond d'un tourment
Courir aprés l'ombre de l'amour
Sans issue de secours

Lou, j’ ai murmuré ton nom
A l’oreille d’un vieux cheval m
alheureux
Lou, Dieu est mort cette nuit
Et cette vérité se lit dans tes yeux
T’aimer pourtant
C’était danser au bord d’un volcan
En espérant la nuit et le jour
Ton éternel retour

Lou , des steppes de Russie
De Berlin de Vienne où t’enfuis-
Tu mon Lou ?
Lou, tes lettres m’ont suivi
En enfer ou au paradis
Toi mon Lou

vendredi 24 octobre 2008

LETTRE A JEANNOT

Cher Jeannot

Depuis que vous avez traversé le miroir et retrouver la Princesse aux gants de plastique et Jean le prince des poètes, les vicissitudes des pauvres mortels doivent vous sembler bien dérisoires. Qu'il doit être doux de partager enfin cette amitié étoilée, ce plaisir "d'aimer et d'être aimé, oui, mais par la même personne"! Comme je vous imagine heureux reposant votre tête de faune apaisé sur un nuage de fumée d'opium, dans la prairie légère du ciel alors que la main de Jean dessine avec grâce votre éternel profil. J'entends encore votre voix comme le ronronnement d'un lion quand vous répondiez à mes questions dans votre loge de théâtre. J'avais quinze ans à peine, j'avais lu les lettres que Jean vous avez adressées, je jouais avec des amis le rôle de Michel créé pour vous dans "Les parents terribles" et avec mon petit micro je m'étais infiltré parmi les journalistes de la conférence de presse pour voir de prés vos yeux toujours beaux de noble octogénaire, pour être vu par ces yeux qui inspirèrent tant d'amour à celui que je considérais alors comme mon mâitre. Vous m'avez regardé aimablement et avez répondu à mes questions maladroites qui portaient davantage sur Jean que sur vous-même, mais comme vous avez toujours mis en avant son génie plutôt que tous les talents dont avec raison il vous voyait paré, vous ne m'en tîntes pas rigueur, bien au contraire. Le moment le plus troublant de l'interview fut pour moi celui où vous interrompîtes la question d'une journaliste de La Provence, fascinée par Fantomas, pour vous tourner vers moi avec votre mèche éclatante et me demander: "C'est vous qui jouez le rôle de Michel?" Alors devant mon acquièsement et mon embarras d'adolescent que tous les journalistes se mirent à dévisager, vous m'avez dit :"Mais allez-y, donnez-vous entièrement à ce rôle et à tous ceux que la vie vous demandera de tenir. Vous serez parfait si vous y croyez et que vous le faites avec passion". Ces rôles, pas toujours terribles, que la vie m'a demandé de tenir, je continue de vouloir les assumer avec cette passion qui brûle, celle du voleur de feu dans l'appartement incendié, et c'est, je peux vous le dire encore aujourd'hui grâce à des figures comme la vôtre que je crois au panache, au coup d'éclat, à la splendeur qui font pourtant de plus en plus défaut sur cette terre. Il me suffit de revoir vos films pour ne pas laisser dépérir en moi la Bête amoureuse et pour descendre explorer mes zones les plus sombres dont je veux ressortir en Orphée triomphant. Votre visage de jeune homme et votre voix rocailleuse de monstre sacré me signalent un chemin qui va de la grâce innocente vers la gravité sereine. Je me tiens entre les deux, si maladroitement, voyant disparaître d'un côté la naïve énergie qui me faisait croire en mes rêves alors que de l'autre côté, je ne vois rien de sûr ni de sage qui se profile!

Eclaircissez-moi donc un peu le chemin et dissipez les ombres d'un grand éclat de rire. Dites à Jean de faire briller son étoile un peu plus fort au dessus de ma tête. Je vous le demande à vous car je sais qu'il ne sait pas résister à la moindre de vos requêtes. Soyez mon complice Jeannot, dites-moi que vous le voulez bien? Je signe ici du nom sous lequel vous m'avez connu, et qui est aussi le vôtre pour toujours...
MICHEL




mercredi 22 octobre 2008

LIO FACE B

Une bulle de nostalgie pop et acidulée. Le premier album de Lio fut aussi le premier album que l'on m'offrit pour Noêl en 1980. J'avais huit ans et Lio à peine dix de plus mais qu'importe, une grande d'histoire d'amour commençait! Qu'est-ce qui m'avait conduit jusqu'à elle? Non pas le goût du banana split, plaisir exotique dont j'ignorais l'existence et le nom, mais plutôt ses mélodies dépressives comme "Amoureux solitaires" ou "Si belle et inutile" qui sont de la pure bijouterie musicale sertie par le talent du parolier Jacques Duvall. "La petite amazone" est aussi une ballade mystérieuse et sombre où les claviers synthétiques de la new-wawe française tissent une toile onirique où brillent des vers pleins de poésie suggestive. Je dirais même qu'une certaine philosophie esthétisante et désabusée, mais non exempte d'ironie et de pétillance, transpire de tout cet album qui a sûrement eu une grande influence sur le développement de ma personnalité...( cf. ce blog!)

Sélection d'aphorismes chantés par Lio, égérie de l'enfance:
"Moi je danse et/ d'autres gens meurent/ ça m'empêche pas de danser/ni eux de mourir d'ailleurs/ Qu'y a-t-il derrière/ les apparences/ ce que je ne vois n'a l'air/ que d'autres apparences." (Si belle et nutile)
"Un peu de beauté plastique/ pour effacer nos cernes/De plaisirs chimiques/Pour nos cerveaux trop ternes/ Que nos vies aient l'air d'un film parfait." ( Amoureux solitaires)
La grâce adolescente de cette lolita belgo-portugaise, sa moue, sa queue de cheval, ses mini-jupes fluorescentes ne pouvaient que séduire l'imaginaire d'un petit garçon de province confiné dans un quartier d'immigrés et entourées de petites romanichelles qui n'avaient rien à envier à l'insolence mutine de Lio. Sur le verso de l'album Lio apparaissait en petite tenue et à l'intérieur de la pochette on trouvait sur une feuille des habits à découper pour la parer à sa guise. S'exposer ainsi sur un support aussi populaire que la pochette d'un disque, me parut le comble de l'audace. Pour mon malheur, je crois que je ne pus jamais vraiment écouter le disque avec satisfaction complète car rapidemment les deux faces du vynil se retrouvèrent complètement rayées et l'écoute en devint impossible ( je souçonne encore quelque main féminine de la maison trop jalouse de ma nouvelle passion et cherchant à commettre un LIOcide!)
Depuis mon amour pour Lio s'est un peu tempéré... Je me souviens l'avoir aperçue à 22 ans quand je traînais au festival de Cannes. Elle était devenue une actrice intéressante et posait sur le capot d'une vieille voiture jaune avec un flic en uniforme! Je la pris en photo, mais n'eut pas le cran d'aller lui dire un mot gentil : toute ma passion enfantine s'était réveillée et je restai paralysé et tremblant d'émotions face à la petite amazone qui disparut parmi la foule de la Croisette.
Un jour dans un hôtel d'Arequipa au Pérou je trouvais sur les rayons de la bibliothèque du bar l'autobiographie de Lio "Pop modèle" qu'un touriste avait due abandonner. Peut-on imaginer pareille littérature dans un endroit si incongru? C'était encore un signe d'un amour impossible et perdu... Si je ne l'avais pas déjà lu avec grand intérêt un an auparavant, j'aurais probablement subtilisé le précieux ouvrage et remplacé par "A l'ombre des jeunes filles en fleurs" que j'avais emporté pour le lire en plein Machu Pichu.


mardi 21 octobre 2008

IMPRESSIONS PROUSTIENNES

J’entame ici une escapade dans l’univers de Marcel Proust et les peintres qui l’ont inspiré et dont on trouve la trace autant dans sa vie que dans La recherche. Plus de 250 peintres sont cités dans l’ouvrage ! Jamais romancier n’avait assigné pareille importance à l’univers pictural au point de faire de ce roman autobiographique, un véritable document de critique d’art. Vermeer, Rembrandt, pour les flamands, Giotto, Carpaccio, Botticelli pour les italiens, les références parsèment la narration et donnent lieu à de longues digressions admirables qui ont permis aux contemporains de Proust de repenser leurs références à une époque où l’expressionnisme puis le cubisme viennent tout bousculer. En homme de la fin du siècle cultivant une passion pour les cathédrales romanes ou les aspects byzantins de Venise, l’avant-gardisme pour Proust se limitera à défendre les audaces des post-impressionnistes dont on aime à répéter parfois qu’il en est la traduction littéraire.
Mais au delà du plaisir de la citation propre à un amateur très éclairé, les abondantes références aux maîtres de la peinture classique occupent dans l’œuvre un rôle essentiel par le jeu de miroir qu’elles créent entre les époques. L’art n’est qu’un prisme, permettant de voir et de comprendre mieux ce qui relie le passé au présent, ce qui dans la contingence des évènements continus révèle l’éternité. Les chefs-d’œuvre du passé se superposent ainsi aux scènes de la vie quotidiennes pour en révéler le caractère esthétique et la dimension universelle tout en intervenant aussi comme des agents dramatiques dans l’intrigue.
C’est ainsi que le dandy Charles Swann s‘éprend furieusement d’Odette une courtisane triviale « qui n’était même pas son genre » car il est soudain frappé par sa ressemblance avec la Zéphora peinte par Botticelli. La sensibilité artistique surprise par un déjà-vu, suscite une fixation érotique, et alimente une passion jalouse et dévorante qui s’achèvera une fois le trompe-l’œil
dissipé et les mirages de l’amour enfuis.


Les êtres mais aussi les lieux participent de cette glorification des images. En effet les principaux territoires où évoluent la narration sont toujours des espaces sublimés par le souvenir ou le rêve et qui se synthétisent dans des visions picturales. A commencer par le mythique village de Combray pour l’enfance avec ses intérieurs en clair-obscur façon Chardin, ses jardins dignes de Monet, ses promenades au bord du fleuve de la Vivonne dont les nymphéas inspirés de Manet offre un « parterre d’eau » où le ciel changeant se reflète, métaphore parfaite de l’écoulement du temps.





Puis vient l’adolescence à Balbec, station balnéaire où sur des horizons maritimes à la manière de Whistler ou des Nabi se détachent les silhouettes de jeunes filles en fleurs. Venise la décadente, la cité la plus peinte entre toutes est à son tour un miroir liquide et confus pour un narrateur parvenu à la maturité. La mort elle-même ne pouvait surprendre l’amateur d’art que devant un tableau, comme c’est le cas pour le personnage de Bergotte, l’écrivain préféré du narrateur, qui meurt à la sortie d’un musée après avoir admiré « Vue de Delft » de Vermeer. Le détail du désormais célèbre « petit pan de mur jaune » au coin de la toile inspire à l’écrivain fictif une admiration et une amertume fatale : « c’est ainsi que j’aurais dû écrire, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleurs, rendre ma phrase précieuse comme ce petit pan de mur jaune. »





La peinture est donc considérée comme l’art majeur que la littérature essaie d’égaler en précision et en transparence. Ce soin que Proust portait au raffinement et à la fluidité soyeuse de ses phrases, ce tact et ce souci du détail dans la transcription des sensations, ces touches infinies pour saisir les nuances d’un sentiment, tout cela a valu à l’auteur le titre d’écrivain impressionniste. Il est vrai que Renoir qui aurait inspiré en partie la figure du personnage d’Elstir, le peintre de La recherche, est une référence incontournable dans l’univers proustien. Comme lui, mais avec des techniques spécifiquement littéraires Proust a cherché à capturer l’instant, à fixer les vibrations lumineuses et les zones d’ombres de l’âme, les oscillations du ciel ou les intermittences du cœur. Mais au delà des images toujours fixes obtenues par les peintres, l’écrivain apporte la dimension fluctuante du récit, la perspective mouvante du temps, le vertige de l’instabilité des choses et des êtres emportés dans une narration fleuve où tout s’anime, se mêle, se confond et se désagrège. C’est peut-être du côté du cinéma qu’il faudrait alors chercher des comparaisons, chez Renoir le fils, cinéaste inspiré qui aurait séduit Proust par son usage poétique et savant des images mobiles, lui qui enfant s’adonnait déjà à des séances de lanternes magiques sur les murs de sa chambre.

lundi 20 octobre 2008

DO YOU NOMI?


Hommage à une vraie créature, un séraphin underground, un alien baroque, un artiste singulier et météorite. Klaus Nomi, punk et haute-contre prodigieux, étoile de cabaret berlinois et star new-yorkaise des anées 8o avant que le sida ne l'emporte vers une autre planète, son astéroïde de petit prince déchu qu'il n'aurait jamais dû quitter. La fusion d'opéra et de musique new-wawe qui est sa marque particulière lui offrait l'opportunité de mises en scène, d'apparitions, où en véritable artiste, Nomi avait le souci de créer un univers propre, onirique, futuriste, kitsch et angoissant à la fois, dont il était le contre-ut, le spectre anguleux en noir et blanc.
Je le découvris à l'âge de dix ans dans une émission de variété de Danièle Gilbert!! Foudroyé par cette Héliogabale de science-fiction, je réussis à convaincre ma mère de m'acheter son 45 tours "Falling in love again" dans les rayons Disque du Leclerc où il se trouvait miraculeusement à la vente. C'était le moment parfait pour me conduire aussitôt chez un psy. Elle ne l'a pas fait et ma passion Klausnomienne put se développer obsessionnellement autour de ce vinyl à deux faces, comme cette créature ambigüe, mi -homme mi-androïde. Curieusement je sus tout de lui seulement 25 ans plus tard grâce à un documentaire "The Nomi song", visionné au festival de ciné de Buenos-Aires. On y apprend son parcours difficile, ses heures de gloire au Palace à Paris, comment le père Bowie dont il fut le choriste lui vola tout son look, et les années de décadence fulgurante quand tous les artistes de New-York tombaient comme des mouches sous l'épidémie d'un mal nouveau dont Nomi fut un des premiers martyrs illustres.
C'est une existence sombre et étincellante que je révère ici, une existence consacrée à célébrer tout ce qui sidère et donne des frissons : la liberté d'être, la folie de créer et l'amour du beau.

Un moment magique trois mois avant sa mort, the cold song from Purcell
"Let me, let me, let me freeze again to death"
http://www.youtube.com/watch?v=3hGpjsgquqw&feature=related

Et le Nomi diva punk délirant! http://www.youtube.com/watch?v=uKYpepxGkyY

dimanche 19 octobre 2008

LA VEUVE DE L'ECRIVAIN ET LE MASSEUR CUBAIN

Voici une anecdote savoureuse que m'a livré un jeune cubain de passage à Buenos-Aires, dont la trajectoire chaotique et romanesque mériterait à elle seule un récit. Au moment où je le rencontre, il vit donc dans la capitale argentine et travaille dans un institut de beauté et soin du corps trés chic du non moins chic quartier de Recoleta, en attendant de reprendre ses études de médecine. On lui annonce la venue d'une cliente habituée, à laquelle il doit pratiquer un de ces massages assistés d'une machinerie subtile qui produirait une action thermo-électrique (?) sensée réduire la graisse ou la cellulite. La cliente en question est la veuve d'un illustre auteur argentin décédé et jouit d'une redoutable réputation de harpie pseudo-littéraire surveillant l'héritage et la mémoire du défunt époux. Le joli cubain la reconnaît aussitôt pour avoir vu de nombreux documentaires sur l'écrivain dans son lycée d'élite de Santa Clara. Cependant par tact professionnel et esprit de malice, il fait mine de ne rien laisser paraître et dissimule l'excitation d'avoir à palper et caresser le même corps de femme que l'écrivain qu'il admire ( si tant est que ce corps fut touché par le si littéraire époux). C'est la noble veuve qui, une fois constaté l'accent typique du nuevo chico, engage la conversation sur la littérature cubaine. Rapidement celui-ci, cultivé et brillant au délà des sciences anatomiques, en vient à la littérature argentine et fait l'éloge de l'écrivain disparu, toujours sans interroger la dame sur ses liens avec celui-ci. "Il y a un poème de lui que j'ai appris en anglais mais je n'en connais pas la version en espagnol" Et le voilà qui sur la demande de la veuve, se met à lui réciter l'opus en question tout en massant vigoureusement les fesses de celle-ci avec l'engin décrit plus haut. A ce stade-là l'anecdocte me semble suffisamment savoureuse. Un exilé cubain de vingt ans, scandant en anglais les vers du poète d'honneur de la ville où il transite tout en administrant un palpé roulé à la veuve égérie... je savoure! Mais voilà que l'héritière imperturbable interrompt la pieuse récitation pour signifier que ce poème est un inédit de Borges qu'elle recherche depuis longtemps! Elle se redresse, cachant avec une serviette sa nudité sexagénaire au cubanito et lui enjoint de consigner sur une feuille les vers que celui-ci a appris par coeur en anglais dans son île communiste, par pure aficion! Le poème sera retranscrit sur un feuille de soins de l'institut grâce à l'impeccable mémoire du joli masseur qui lacha la machine aspirer la cellulite pour une plume plus inspirée. La veuve quitta réjouie sa séance de massage avec le soin de remercier ce garçon providentiel, non pas d'un conséquent pourboire, mais de toute la gratitude littéraire qu'il était en droit d'espérer.
Je tiens ce petit récit de la bouche du cubain lui-même qui travaille aujourd'hui dans un institut dentaire à Miami et prétend revenir le plus tôt possible dans la ville pleine de ferveur, où rodent parmi les ruines circulaires, des tigres albinos et des veuves féroces...







samedi 18 octobre 2008

EFFUSIONS DE DIANE

Au Québec c'est une reine dont tous les fans de mon espèce se disputent l'amour exclusif. En France, elle jouit d'un statut plus mystérieux et moins hystérique. On la connaît, même si on la confond avec d'autres Diane, alors qu'elle est hors catégorie. Non, Diane Dufresne n'est pas reine de France, elle fait trop peur aux goûts du petit français qui préfère les chanteuses populaires lisses et vernissées. Car Diane, c'est de la dynamite, de l'hélium dangereux, un oxygène trop pur qui monte à la tête et donne le vertige. La voix tout d'abord, est hors norme, inouïe au sens le plus strict du terme. Ténébreuse ou céleste, elle fusionne avec le cri ou le râle, le murmure ou le contre-ut selon les émotions et les exigences de la musique. Visuellement la Dufresne est aussi un monstre sacré, diva ou rock star, glamoureuse ou bizarre, classieuse ou clocharde délurée, elle est une métamorphose ambulante et sait offrir à son public le faste, l'inédit, l'énorme et le sublime dont il s'alimente. Enfin le répertoire, réaliste, poétique, drôle, engagé, profond ou ludique, avec de grandes signatures de la chanson (Plamondon, Jonaz, Rivat et elle-même depuis dix ans) mis en musique par des artistes de tous horizons et de tous genres. Phénomène de scène ( je l'ai vue cinq fois et me désespère de perdre son show aux Bouffes du Nord en novembre...) elle est d'un professionnalisme impressionnant et propose à son public un immense don d'elle-même avec un respect qui émeut.
Son dernier opus Effusions est une réalisation parfaite mêlant tangos, ballades, mélodies au piano avec le grand Alain Lefèvre, ou symphonie électronique avec Marie Bernard avec laquelle elle signait déjà il y a 12 ans un album magnifique. Ecouter ma chanteuse de prédilection chantait sur un air de bandonéon alors que je vis en Argentine me va droit au coeur et en bon mythomane que je suis j'y vois bien sûr un signe personnel!

Voilà pour le dithyrambe et maintenant le souvenir particulier qui me lie à la Diane québecquoise. C'était il y a une décennie, je passais une période de ma vie professionnelle en Creuse ( idée absurde dont je n'étais pas responsable évidemment) et je me revois au coin du feu de la petite batisse rurale où je crèchais, en un mois de janvier couvert de neige. J'étais allé voir pour les fêtes de fin d'année la Dufresne à Paris, aux théâtres des Bouffes Parisiennes. Dans ce nid rococo à moitié déserté par le public, Diane chantait sa vie, son parcours de star et d'ermite dans des tenues de carton ou de tulle. J'avais fait antichambre longtemps pour la saluer au sortir de sa loge comme une bonne midinette qui se respecte quant un petit monsieur passa devant moi et s'engouffra sans problème par la petite porte derrière laquelle s'abritait la diva : c'était Nougaro. Un agent de la chanteuse m'informa qu'ils allaient manger ensemble et que le théâtre fermait : c'est par ici la sortie! Je regagnai dépité ma Creuse profonde et ses pâturages blafards non sans laisser à la réception du théâtre une lettre d'éloges et de remerciements à la dame (oui je suis un aficionado absolu et ridicule comme on en fait plus). Et pourtant, une semaine plus tard, toujours sous les neiges de la Creuse éternelle, j'eus le bonheur de recevoir une carte autographe de madame Dufresne avec un dessin original et un mot de remerciement personnalisé! Ma joie fut si rayonnante que je crois que le dégel commença ce jour-là! Tout cela à cause d'une voix et des EFFUSIONS dans lesquelles elle me jette!




http://www.postedecoute.ca/catalogue/album/diane-dufresne-effusions

Et parmi ce qu'elle a fait de plus grandiose et de plus fou "Le parc Belmont"

http://www.youtube.com/watch?v=g4kZjwfnKTU

jeudi 16 octobre 2008

ANNA A CINELANDIA

Une touche féminine et nostalgique dans le blog et la nuit brésilienne. Souvenir d'une rencontre insolite et charmante avec Anna Mouglalis au festival de cinéma de Rio de Janeiro il y a cinq ans déjà, alors qu'elle était une débutante sur la toile et sur les passerelles de Chanel. On m'avait présenté à elle par hasard, alors que je venais de la découvrir une semaine auparavant dans le film "Merci pour le chocolat" de Chabrol. On discute, on sympathise et on se retrouve au premier balcon du ciné-théâtre Odéon à minuit. On parle de voyages, de cinéma, d'hypokhâgne et de plages!... Puis attraction! (Non je parle de l'attraction avant le film comme au bon vieux temps de "la dernière séance"!) Un numéro de drag king black new-yorkaise qui offre un strip-tease transgenre : un roi racaille du ghetto qui danse et se fout en tenue d'Eve! Trouble in the gender! Anna rit, elle est fatiguée... elle reste encore une heure à papoter alors que sur l'écran défilent les images d'un docu sur les drags masculines USA. La nuit vire au malaise et le sommeil nous gagne. Je la raccompagne sur la place de Cinélandia où traînent les garçons qui se prostituent. J'appelle un taxi pour qu'il la raccompagne à son hôtel, le Copacabana Palace évidemment. On promet de se revoir à Paris où je vais si peu, à Rio où elle n'aura rien à faire et d'où je partirai moi-même bientôt. Je la retrouverai sur les écrans en Simone de Beauvoir superbe et écorchée ou dans des films d'auteur pas vraiment à la hauteur. Mais que cette fille a de l'ALLURE! et quelle voix irrésistible, et ce phrasé comme on en fait plus. Je suis rentré seul à pieds en traversant les rues sordides de Lapa : les travestis, féminins cette fois, semblaient échappés d'un autre film, assez vulgaire et râcoleur! Qu'importe j'aurai eu ma nuit avec la Mouglalis, à Rio, entre glamour et trash, il était une fois...



mercredi 15 octobre 2008

LES HOMMES DE LA PAMPA


Il n'est pas question ici de gauchos austères et taciturnes suçotant leur maté au crépuscule face au désert fascinant du campo argentin. Bien au contraire, je voudrais évoquer deux hommes aussi vulnérables dans leur sensibilité et leur chair que puissants dans leur emploi de la parole poétique. Hector Bianciotti tout d'abord, qui avec son roman autobiographique "Ce que la nuit raconte au jour" m'a donné le goût d'aller voir du côté de la pampa et de sentir le "vertige horizontal" dont parle Drieu de la Rochelle. Son parcours admirable depuis une estancia perdue dans l'immensité de la province cordobèse jusqu'aux dorures solennelles de l'Académie française où il siège aujourd'hui, est une démonstration, exceptionnelle, de ce que peuvent le destin, le talent et la volonté d'un homme. Un homme qui s'est confronté à l'incompréhension de sa famille, à la persécution d'un régime traquant les intellectuels et les homosexuels, à l'exil vers une Europe suspicieuse de voir revenir ce fils d'émigrant aux préténtions littéraires dans des langues qui n'étaient pas les siennes et où il va rapidemment se faire un nom illustre comme auteur et critique littéraire de haut vol. Dans son dernier ouvrage "Comme la trace de l'oiseau dans l'air", il évoque son retour vers sa terre natale, en écrivain couronné, et retrouve ses parents et amis avec émotion et une sensation de vertige qui n'est plus due à l'espace mais au passage du temps. C'est ce petit livre que j'emportais avec moi pour ma première traversée de la province de La Pampa, vers Santa Rosa où m'appelait une conférence sur l'autofiction et l'écriture de l'intimité. Parler des derniers sursauts d'un genre hyper-parisien au fin fond de la plaine argentine est en soi un exercice insolite. Un des auteurs traités dans mon exposé, et non des moindres, était Hervé Guibert. Au cours de ses dernières années de vie, Guibert s’est imposé comme un des écrivains de l’impudeur absolue, d’une impudeur sur le plan moral, sentimental mais aussi sur le plan physique et clinique. Atteint du SIDA, il se lança dans une écriture autofictionnelle où rien ne sera occulté des souffrances et traitements médicaux imposés par le mal. Plus de masque narratif, plus de personnage littéraire, seulement un moi écorché vif, ou mieux, immolé, disséqué et exposée, comme pour un sacrifice. « Je disparaîtrai et je n’aurais rien caché ». Avec cette formule testamentaire Guibert allait plus loin que l’autofiction : plus que genre ou pratique littéraire celle-ci devenait acte de survie et une quête de transcendance.



Il manquait une conclusion à mon exposé, me permettant de faire le lien avec Guibert et l'Argentine et de boucler la boucle d'une conférence qui via la pampa m'avait fait galoper par les terres immenses, et souvent déprimantes de l'autofiction. Bianciotti me la livra quelques heures même avant la conférence, de manière providentielle, comme les bons auteurs savent le faire. Celui-ci raconte en effet dans "Comme la trace de l'oiseau dans l'air" comment il connut Guibert avant et pendant sa maladie. Il y brosse un intéressant portrait dans un ouvrage pourtant consacré à son retour en Argentine. Curieux télescopage littéraire au coeur duquel moi-même je me trouvais pris, ravi de voir l'écrivain martyr des années SIDA ( qui ne sont hélas point terminées) traverser l'horizon de cette pampa grâce au compagnonnage du maître Bianciotti.


Au retour, je pris un bus de jour pour Buenos-Aires qui me permis de traverser pendant dix interminables heures cette pampa invariable et éternelle. Une averse bleutée vint balayer le paysage et créer dans les prairies des flaques grandes comme des lacs. Puis un crépuscule radieux déchira les nuages et les flaques devinrent de grands miroirs cernés de zones d'ombre où venaient s'abreuver des vaches noires ruminant comme des spectres. Je songeais à l'enfant Bianciotti rêvant de littérature française au milieu des steppes et au fantôme de Guibert nostalgique de la terre au milieu des limbes. Et la pampa ce soir-là n'était plus qu'un jeu de réflexion entre la terre et le ciel où traînaient les âmes des écrivains enfuis.

lundi 13 octobre 2008

MANOS ANONIMAS

Mon premier contact avec l'oeuvre de Carlos Alonso, peintre argentin né à Mendoza, se fit dans les premiers jours de mon installation à Buenos-Aires il y a trois ans. Une de ses lithographies (voir en haut) appartenant à la série "Manos anonimas" ornait un mur de l'appartement meublé où je m'installais. Au bout de trois jours je décidai de retirer ce cadre de ma vue. Trop dure, trop violente cette image d'un enfant hurlant alors que des agents de la dictature rentrent par effraction dans l'appartement de ses parents pour les ajouter au tribut des 30 000 disparus que comptera l'Argentine sous l'ère des militaires. Pas le genre de décoration qu'on a envie de contempler en prenant chaque matin son petit café. Trois ans plus tard, c'est à dire il y a un mois, j'ai l'occasion au cours d'une visite du Palacio Ferreyra, somptueux centre d'art de Cordoba, de tomber sur l'expo et sous le choc de la série complète dont cette lithographie était extraite. "Manos anonimas" est un ensemble de dessins et peintures où Alonso expose ce moment crucial de l'enlèvement de femmes et d'enfants par les militaires en civils, types patibulaires aux faces de mafiosi qui attrapent, tâtent, torturent les corps arrachés à la douceur du foyer. Certaines illustrations sont vraiment insoutenables de cruauté et crudité ( au sens de la viande crue). Quand on sait que la propre fille d'Alonso, en exil sous la dictature, a elle-même été portée disparue, euphémisme politique, on touche à la douleur d'un père, d'un citoyen, d'un homme. Cette irruption de l'Histoire dans la vie privée, ce viol de l'intime par un élément du collectif est parfaitement rendu par le travail du peintre qui recrée des scènes de rapt et de meurtre avec un hyper-réalisme où prédominent le corps martyrisé, le cri, la convulsion, l'horreur.Tout est cependant stylisé par le trait épuré et les couleurs criardes que le peintre distribue dans un espace qu'il maintient souvent comme inachevé.
Il me semble que cette collection d'art constitue un fragment sanglant de la mémoire de ce pays, principalement présentée à Cordoba où la répression et la persécution furent trés marquées. Dans les rues de la cité on peut trouver aussi "le passage de la mémoire", où des portraits de jeunes disparus sont suspendus le long du mur de la cathédrâle avec des tags accusateurs qui ne sont pas sans rappeler lesdénonciations des horreurs européennes lors de la seconde guerre mondiale. De l'esthétique du martyre d'Alonso, au happening militant de la rue, c'est le même cri de la révolte et du refus de l'oubli qui se fait entendre...un cri que je n'ai pas voulu entendre moi-même en décrochant ce tableau de mon cadre de vie personnel et que j'avais mis au placard... avant qu'il ne retentisse dans un hurlement magnifique, au musée.


AFANADORe

Photographe d'origine colombienne je l'ai découvert à Bogota dans une librairie d'art. Son album Torero propose des portraits de jeunes toreros sud américains qui se sont prêtés au jeu de ce grand photographe de mode lequel a cherché à mettre en relief l'aspect haute-couture de la parure et la posture tauromachiques. Le résultat est spectaculaire: force, sensualité, violence théâtralisée, attitudes hiératiques où féminité brute et virilité raffinée vivent des noces inattendues. Un autre album Sombra décline en noir, blanc, sépia, doré, les vertiges du corps nu, notamment celui de danseurs dans des mises en scènes dépouillées, tantôt funèbres, tantôt incandescentes. Je ne peux dissocier les sombres atmosphères d'Afanador et son érotisme inquiet de ma propre période colombienne avec La virgen de los sicarios, le roman choc de Vallejo, les rues de Medellin et le visage au sourire irrésistible d'un jeune minotaure sentimental.










samedi 11 octobre 2008

EROS Y MUERTE




Certains albums semblent spécifiquement répondre à nos attentes. Comme s'ils n'avaient été créés que pour nous-mêmes, exclusivement, car nous nous sentons des auditeurs uniques et privilégiés. Douce illusion qui lorsqu'elle se produit est le signe de la réussite de l'artiste. Avec les ouvrages d' Angélique Ionatos j'ai souvent ce sentiment prétentieux que son travail s'adresse non seulement à mon vécu, mais aussi à l'histoire personnelle de mes goûts et de ma sensibilité. La langue grecque, ou celle de Neruda ou Anna de Noailles, la guitare méditéranéenne, le bandonéon argentin, le romantisme sombre des poésies où dominent Eros et Thanatos, thémes qui me passionnent, la voix d'Angelica, grave et claire comme une fontaine, tout cela concourt à mon enchantement total. "Issiha ke sigala", doucement, tranquillement... c'est ainsi que sa magie opère. Je ne peux m'empêcher de penser à une fée ionienne faisant résonner sa cythare au fond d'une grotte basaltique! Circée, Echo, Calliope, Calypso... toutes les figures mythologiques de la Grèce accourent dans sa voix! De plus chez Ionatos on sent un engagement et une exigence d'artiste dans chaque note dans chaque modulation. Son adoration pour les poètes et l'art qu'elle met à les servir est rare et impose un grand respect. Enfin la sensualité retenue et diffuse qu'elle apporte avec sa voix et ses accords ont, comme dirait Nerval, "pour moi seul des charmes secrets..." Mais égoïstement je ne la recommande à personne car, on l'aura compris ,Angélique ne chante que pour moi. Désolé!

Enfin presque : http://www.angeliqueionatos.com/




vendredi 10 octobre 2008

ENVIE DE LA BELLE PERSONNE


Vivre loin de la France contraint à découvrir des oeuvres filmiques ou littéraires avec six ou douze mois de retard selon la fréquence des voyages vers la Mère Patrie! Frustrés du plaisir de la primeur, il nous reste la consolation d'échapper à la consommation immédiate d'une oeuvre auréolée du charme de la nouveauté et de savourer celle-ci dans l'apaisement post-promotionnel! Quoiqu'il en soit, je suis trés curieux de connaître le dernier travail de Christophe Honoré qui s'attaque à ce beau monument, (conspué par l'ignorance élyséenne), pour en montrer la grandeur et la splendeur au delà des époques et des règnes. "La belle personne" est une transposition de "La princesse de Clèves" de Mme de la Fayette, chef d'oeuvre du roman classique français. On sent le film un rien bobo, mais qu'importe, les acteurs ont le prestige et le charme de leurs rôles (quoique plus vieux de dix ans pour certains). L'action se situe non plus à la cour du roi Henri II mais dans la cour du lycée Henri IV, autre type d'excellence! Honoré doit avoir le tact et l'audace de porter à l'écran toute la grâce et le raffinement de la question amoureuse et de ses complexités au dix-septième siècle comme aujourd'hui. Vraiment trés curieux de ce film! Et pour calmer cet ardent désir, il ne me reste plus qu'à me replonger dans le livre... "Jamais cour n'eut tant de belles personnes..."
QUELQUES JOURS PLUS TARD
La belle personne a été vue grâce au web, et je dois avouer que mon envie est un rien déçue.
Le film se laisse regarder car c'est un exercice de style qui rend curieux, où les acteurs sont captivants avec leur beauté adolescente et leur grâce bohème chic, où Honoré réserve toujours de beaux moments et où on est comme lui toujours un peu fasciné par cette jeunesse élégante et tourmentée des grands lycées parisiens. Seulement voilà, peu d'émotion circule, les passions des personnages traversent laborieusement l'écran, on comprend mal pourquoi tant de retenue et de tourments à notre époque pour s'aimer, (même entre élève et prof ou entre deux garçons). Et si on ne sentait percer les pressions morales du roman de Mme de la Fayette sous les atermoiements juvéniles de la jolie troupe lycéenne, on ne comprendrait rien. Honoré fait trop de contorsions narratives et psychologiques pour décalquer les enjeux de "La princesse de Clèves" et offrir une copie soignée et personnelle à la fois. De plus tout ce qui avait pu nous charmer dans ces films précédents ( Louis Garrel, la mélancolie régressive, l'amour impossible, les grandes écharpes et les cheveux en bataille, les cigarettes systématiquement allumées à chaque plan, les livres de poche intellos comme éléments décoratifs, les chansons dépressives en anglais ou français...) bref tout cela devient des tics insupportables et auto-référentiels, carrément ridicules. Honoré insiste trop pour nous dire qu'il construit de film en film, son oeuvre avec ses acteurs fétiches et son style marqué d' un manièrisme stérile et agaçant. En plus tout cela sent tellement notre époque bobo et figée sur son âge d'or adolescent que ce ne peut qu'être promis à la péremption rapide. Dans dix ans on regardera ces films en souriant coupablement sur ce qu'on s'était laissé aller à apprécier...

jeudi 9 octobre 2008

L'HOMME AUX SANDALETTES DE VENT


Ses livres sont souvent difficiles et à contre-courant des écritures offrant tout de suite ce qu'elles ont à nous dire. Certains pourtant se donnent lumineusement à nous, sont de captivantes invitations au voyage vers l'île de Rodrigo ou Maurice, le Mexique de Diego et Frida quand personne ne s'intéressait à eux en Europe, les déserts où des civilisations perdues prennent le visage d'une jeune fille, Etoile errante, Onitsha. Les trente premières pages de Le chercheur d'or sont probablement parmi les plus belles de la littérature. Jamais je n'avais ressenti à ce point la présence de la mer, du paysage, du climat tropical traduit à fleur de peau ou pour mieux dire à"grain de page". Dernièrement son court récit autobiographique sur son père L'africain, m'a fait retrouver ces moments de partage jubilatoire que la lecture de le Clézio ne m'a pas hélas toujours donné. Mais c'est du fait du lecteur : nous sommes face à un écrivain de cette dimension, les seuls coupables de paresse et d'aveuglement. J'ai eu la chance de le croiser en 2007, de partager même un repas avec lui après une conférence où sa modestie et sa politesse un peu britannique (via le père) m'ont autant impressionné que ses propos clairs et maîtrisés sur l'art du roman ou la défense des cultures et langues minoritaires. Un détail insolite, l'homme sobre et discret, occupé à des rencontres professionnelles, portait en plein hiver des sandalettes de cuir! Il explique dans L'africain que son enfance passée à courir dans la savane avec ses petits amis du Niger, avait libéré ses pieds de l'assujettissement à tout type de chaussure fermée. Il n'aimait aller que pieds nus, au pire en sandalettes. Démonstration au pied de la lettre de la passion de notre tout nouveau prix Nobel pour la nudité, vérité et liberté à laquelle tous les écrivains devraient nous rappeller.

mercredi 8 octobre 2008

I 'VE SEEN THAT FACE BEFORE


Elle est de retour, elle n'est jamais partie. Une des créatures les plus inouies et indispensables des années 80. En Libertango de Piazolla ou empiaffée de vie en rose par son pygmalion Goude, robotisée, engloutissant des automobiles, esclave du rythm dans les geôles du Palace, elle est divine en toute circonstances. Cette photographie d'une sexagénaire qui ne perd jamais la Grace est tout ce que j'aime visuellement. Elle est signée Chris Cunningham auteur du clip Frozen de Madonna ou de All is full of love de Björk ( références impeccables!). L'album "Corporate cannibal" est produit par Tricky. Le clip du premier titre est plein d'effroi et de majesté! La grande icone y est une sorte de monstre s'anamorphosant, un Maldoror glamour et hypnotique. "Explosante-fixe, magique circonstancielle" c'est la définition même de la beauté surréaliste. Amazing Grace Jones!

TANGOKINESIS


Je découvre le théâtre Maipo, spécialisé dans les revues à paillettes, pour le spectacle anniversaire des quinze ans de la troupe tangokinesis de Ana-Maria Steckelman. Dans cet écrin rouge et or, le tango mixé de danse contemporaine brille de tous ses éclats. Qu'elle flirte avec un quattuor de Beethoven ou des mambos de Cugat, la chorégraphe portègne, collaboratrice de Arias ou Saura, impose toujours son exigence : valoriser le mouvement, travailler le geste si élaboré de la posture tanguesque, le tordre, le tendre, le décliner sans jamais en perdre l'âme. Il est amusant de voir en effet que la "kinesis" du tango demeure intacte quel que soit l'élément musical auquel elle se mêle. On notera la présence d'un speaker trés protocolaire présentant en allemand chaque partie du spectacle et se faufilant en impromptu dans les "rutinas" des danseurs pour les souligner, les relier, les "contre-pointer" ironiquement. Un invité intempestif pour certains spectateurs qui sifflèrent le pourtant sympathique teuton. "No se entiende nada" se plaignait mon voisin qui aurait préféré un comique troupier, des filles à poil et à plumes et un grand escalier qui clignote, Maipo oblige!

OJOS PARA VOLAR

C'est avec cette formule tirée d'un poème de Frida Kahlo ("pourquoi avoir des pieds si j'ai des yeux pour voler") que la photographe mexicaine Graciela Iturbide présente sa magnifique anthologie et son exposition au centre culturel de Recoleta à BsAS (en Août 2008). Son oeuvre est fascinante! L'animal vivant, mort, endormi, envolé y prédomine souvent, croisant les objets abandonnés, côtoyant l'homme masqué ou révélé dans des paysages désertiques ou le long de pans de mur. Traces de sang, rides, grimaces, blessures, empreintes et sillages troublants, tout est en écorché vif ou à fleur de peau. On songe au réalisme magique et torturé d' Horacio Quiroga, aux fantômes effarés de Juan Rulfo. Il n'est pas une image d'Iturbide qui ne laisse insensible. Son nom d'ailleurs dans ses sonorités si suggestives, résume l'essence de son art: grâce et turpitude, dans un permanent et désespérant aller retour.