samedi 28 août 2010

JEANNE L'APRES-MIDI

Quelques captures d'un visage d'actrice aux expressions intenses et variées, Giovanna Mezzogiorno dans le dernier film de Bellochio, "VINCERE" sur le destin tragique de la femme cachée de Mussolini. Une vie de femme italienne, passionnée, exploitée, obstinée et brisée comme il y en eut tant sous la botte du fascisme. Le film repose sur les belles épaules de Mezzogiorno. Brava!







vendredi 27 août 2010

JEANNOT






Parfois les fantômes traversent mon miroir.


SOMEONE ELSE?


"Vous l'apprendrez sans doute vous aussi un jour à vos dépens, mais pour un homme sur le déclin, voir un corps dévêtu d'adolescente, c'est boire à la coupe même de Dieu. Je comprends qu'on soit prêt à toutes les bassesses ou à toutes les turpitudes pour connaître cette ultime forme d'extase."


Ainsi se confie Arthur Schnitzler à Roland Jaccard, dans la préface de sa magnifique nouvelle Mademoiselle Else. Tout est dit dans cette phrase rapportée dans la préface. La nouvelle par le biais de la focalisation interne et du monologue intérieur, est une plongée dans les atermoiements de la mademoiselle en question. Celle-ci en moins de quelques heures retranscrites sans interruption narrative, hésite à livrer le spectacle de sa nudité ( et sûrement plus) à la concupiscence d'un homme mûr qui a promis en échange de sauver de la faillite et du déshonneur le père de celle-ci.




Toute la tension morbide et érotique de la Vienne d'avant-guerre rejaillit dans ce récit qui a pour cadre un palace italien à l'atmosphère moite. La rencontre du cynisme de l'élite corrompue et de l'hystérie juvénile viennoise façon Freud atteint ici des sommets. Ecrit en 1924 on trouve dans ce petit livre tous les thèmes et ressorts littéraires de la modernité: la névrose érotique, l'attraction mondaine, les soubresauts d'idéalisme, la fuite dans l'absurde... Et tout ceci est traité dans un style épousant le flux d'une parole intérieure, croisant avec un sens adolescent du paradoxe la volubilité des ingénues ultra-sensibles et la brutale concision des lucidités trop précoces.


La Mademoiselle de Schnitzler, toute enfermée dans son monologue à la Virginia Woolf ou à la manière d'Ariane dans "Belle du seigneur" est un laboratoire des pathologies féminines des années folles. Quand on sait que la propre fille de l'écrivain s'était suicidée quelques années auparavant on comprend qu'il y a quelque chose d'autre dans ce prénom Else. Toute jeune vierge sacrifiée sur l'autel de l'obscénité sociale n'annonce-t-elle les tragédies à venir?

dimanche 22 août 2010

LES FLEURS DE MARCEL


Le dernier ouvrage de Diane de Margerie ,"Proust et l'obscur" a pour objet premier une étude très fine de la noirceur et de la cruauté de l'univers romanesque de cet écrivain, confiné dans l'obscurité de sa chambre. Des ténèbres jaillira la lucidité de sa réflexion poétique sur le temps, l'amour, l'art, la mémoire... Mais si la première partie de l'ouvrage de Diane développe avec charme et précision cette thématique-là, c'est la seconde partie de son étude qui a retenu mon attention, en particulier celle consacrée aux "métaphores ambigües" qui fait la part belle aux fleurs.



Comme chez Baudelaire le paradis chez Proust est un jardin "aux plaisirs furtifs", "le vert paradis des amours enfantines" peuplé d'arbres et de fleurs aux couleurs et parfums fixateurs de mémoire. En vrai poète symboliste, Proust ne se contente pas de peindre magnifiquement la flore du Pre-Catelan de Combray, mais il cherche surtout à en extraire des "essences" et faire s'exhaler tout un parfum métaphysique d'un rameau.


Au-delà des merveilleuses évocations de fleurs "absentes de tout bouquet" selon le mot de Mallarmée, et de la cueillette analytique si perspicace de Diane de Margerie, ce qui narcissiquement me fascine, c'est que les fleurs de Proust, les fleurs communes de la campagne française, sont aussi celles, modestes et bouleversantes qui ont illmuniné le jardin sauvage de mon enfance. Car j'eus la chance d'avoir un jardin, aujourd'hui aboli, semé des mêmes plantes que celles qu'adorait le petit narrateur de la Recherche : aubépines, iris, pervenches, coquelicots, boutons d'or, lilas... Je me demande où sont passées toutes ces fleurs de mon enfance, moi qui fréquente si peu les jardins, qui traînant sur le bitume des villes, ai perdu le souvenir des grandes prairies de la France au printemps. "Ici bas tous les lilas meurent" chantait la belle Céleste Albaret, certes... mais où sont les fleurs d'antan? Ici -bas quelques pétales et rameaux... morceaux cueillis.


L'IRIS
"C'est dans le secret du petit cabinet sentant l'iris que le narrateur se réfugie, à Combray, lorsque proche de l'adolescence, il supplie le destin de lui accorder un corps aimant... L'iris est consolant, charnel. Son odeur émanant des grains pendus dans la petite pièce accompagne le bouleversement de la découverte du plaisir."


LES LILAS
"Le temps des lilas approchait de sa fin; quelques-uns effusaient encore en hauts lustres mauves les bulles délicates de leurs fleurs, mais dans bien des parties du feuillage où déferlait, il y avait seulement une semaine, leur mousse embaumée, se flétrissait, diminuée et noircie, une écume creuse, sèche et sans parfum." Proust /DCSwann.



LES NYMPHEAS
"Le nénuphar devient le symbole des limites imposées à la vie, comme ces êtres qui, traqués entre deux possibilités dont aucune ne les satisfait, ne pourront se trouver eux-mêmes qu'en choisissant l'issue de la dérive. Rien de plus naturel que de voir s'épanouir le nénuphar dans le paysage d'un écrivain partagé entre l'ascétisme de l'écriture et l'errance du regard - entre la rive et la dérive."


CATTLEYAS, ORCHIDEES
"Fleurs de corsage, de chambres surchauffées, de désirs exacerbés, les cattleyas menteurs ne seront mentionnés que dans l'épisode concernant Swann et Odette. Jamais ils ne fleurissent dans le monde provincial, printannier de Combray. Est-ce par dérision, par complicité avec la désillusion de toutes ces amours qu'au lieu de l'oeillet blanc ou du gardénia rituels, Proust arbore dans son portrait par Jacques-Emile Blanche, un cattleya d'une blancheur torturée?"


mardi 17 août 2010

L'ORGIE PERPETUELLE

Dan Witz

Depuis des années je cherche à me plonger dans "L'orgie perpétuelle"... Je parle bien évidemment de l'essai littéraire que Mario Vargas Llosa a consacré à Flaubert et à son roman "Madame Bovary". Curieusement introuvable en Amérique du sud, c'est chez Gallimard du monde entier que je le déniche enfin. Pour mon plus grand plaisir ou pour ma plus grande jouissance masochiste rectifierait Lacan?.. car il est surtout question ici de s'enfoncer dans la spirale des exquises douleurs flaubertiennes et de se pencher narcissiquement sur Emma pour lire sur son visage blanc et teinté d'encre un reflet du nôtre.

Il s'agit d'un ouvrage dense et composé en trois parties: d'abord une confession de l'auteur sur son coup de foudre et son amour indéfectible pour l'oeuvre lorsqu'il étudiait à Paris au quartier latin des auteurs latinos. Ensuite, tel un Sartre péruvien, le beau Mario se livre à une analyse très méticuleuse de la gestation du roman ( un accouchement de cinq ans!) et à une étude stylistique et narratologique impeccable. Enfin, l'auteur propose une réflexion plus large sur la place du chef-d'oeuvre dans la littérature universelle et son rayonnement jusque dans la modernité. Ouf! une vraie immersion dans l'univers de Flaubert, ses obsessions de créateur, sa patience de moine, sa rage littéraire...



On en ressort à la fois avec le mental assombri par tant d'amertume et de misanthropie, mais aussi avec le coeur revigoré par les élans de passion dont l'ermite de Croisset sut faire preuve toute sa vie durant. Entre la noirceur de sa vision de l'humanité et la ferveur baroque qu'il déploie pour la peindre, on navigue dans le paradoxe flaubertien, dans ce va-et-vient qui était aussi celui d'Emma et que d'autres nommaient "le mal du siècle" ou encore "les intermittences du coeur".

En effet, c'est bien de coeur qu'il est question chez Flaubert, malgré l'hypertrophie de l'intellect et les appétences fulgurantes de la chair qui le caractérisent. L'opiniâtreté qu'il met à juguler les débordements de sa sensibilité romantique et à la canaliser par un travail acharné dans l'écriture réaliste a pour fruits ces romans où les sentiments sont voués à une douloureuse rééducation et où le coeur est pressé comme une orange amère.



Le bovarisme n'est-il pas du reste la maladie romanesque par excellence? Elle se contracte par la lecture de mauvais romans, manifeste ses symptômes dans une tendance pathologique à vouloir vivre selon les fictions de son imagination, et se retrouve diagnostiquée et prévenue dans un roman à la lecture contagieuse ? C'est un peu tout cela que le docteur Vargas Llosa cherche à expliquer, avec la passion de l'adulateur et l'érudition qu'on attend d'un homme de lettres. Ce bel ouvrage qui fait se succèder la déclaration d'amour fervente et la dissection clinique de l'écriture est une invitation permanente à se replonger dans le roman. Par ses qualités de critique, Vargas Llosa incarne l'enthousiasme contagieux d'Emma et la rigueur scientiste de Charles, mais il réussit lui à ce que ces deux qualités ne se convertissent jamais en défauts, en les transcendant, comme son maître, par le truchement de la littérature.

QUELQUES CITATIONS ORGIAQUES DE FLAUBERT extraites de sa correspondance.
"Le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle."
"Je suis tout bonnement un bourgeois qui vit retiré à la campagne, m'occupant de littérature, et sans rien demander aux autres: ni considération, ni honneur, ni estime même. Ils se passeront donc de mes lumières. Je leur demande en revanche qu'ils ne m'empoisonnent pas de leurs chandelles. C'est pourquoi je me tiens à l'écart."
"Dès que je ne tiens plus un livre où que je ne rêve pas d'en écrire un, il me prend un ennui à CRIER. La vie ne me semble tolérable que si on l'escamote. Je ne vis pas, j'escamote l'existence."

lundi 16 août 2010

LAS COSAS DEL QUERER



Pour en finir avec les espagnolades et le fantôme de Miguel de Molina, quelques clichés du film espagnol culte "Las cosas del querer" avec Manuel Bandera, plus beau garçon que bon chanteur, et la magnifique Angela Molina. Du kitsch de qualité et des séquences musicales et sexies très réussies! OLE!








lundi 9 août 2010

NOT SO BEAUTIFUL PEOPLE


Avec "Beautiful people" Alicia Drake signe à la fois une biographie au vitriol des deux créateurs phares de la mode parisienne Yves Saint-Laurent et Karl Lagerfeld mais aussi une chronique passionnante couvrant sur plus de quatre décades toutes les "splendeurs et misères" du monde de la mode comme l'annonce le sous-titre.
Sur ce dernier point, on tire les conclusions que l'on pressentait à renifler seulement de loin les parfums capiteux et frelatés qui émanent de ce microcosme majeur du monde moderne: la mode est un milieu qui consomme et consume, une usine à glamour emballée dans la course au luxe et au fric fou dont beaucoup ressortent usés et déchirés comme des chiffons que l'on jette... Quelques-uns sortent du lot... mais à quel prix?


A ma droite YSL et son pygmalion-comptable Bergé... Couple pour l'industrie du luxe et la légende du chic. YSL, génial adolescent aux doigts d'or qui avec le temps se métamorphosera en larve agonisante dans son cocon de soieries, d'alcools et de drogues en tous genres. Certes il tire son épingle du jeu avec grâce : des fulgurances de style, des inventions audacieuses portées par l'air du temps, un esthétisme raffiné et exclusif. La récente exposition qui le consacre très théâtralement au Musée du Petit-Palais est une merveille de scènographie et un hommage vibrant rendu à son art de faire des robes sublimes.


On sait depuis Proust qui célébra les tenues d'Odette ou d'Oriane, ou les peignoirs de Fortuny d'Albertine, qu'une robe dans son architecture et les détails ouvragés de ses raffinements peut prétendre sans discussion au statut de cathédrale de tissu et de chef- d'oeuvre de l'artisanat, au sens le plus noble du terme. Mais de là à se proclamer comme YSL" de la race maudite des grands artistes et grands nerveux" il y a un faux pas malheureux sur la passerelle de l'ego: être un grand faiseur de robes est un titre aussi amplement mérité que suffisant. L'art et la mode n'entretiennent que des rapports complices et distants: la mode joue avec les apparences de l'air du temps et en multiplie les effets de surface, l'art lui traverse l'éphèmere et transcende la matière pour nous en restituer l'essence. On peut avoir un certain art à faire de la mode, mais c'est sur un autre mode que l'art se fait.


A ma gauche (mais sur la même rive) Lagerfeld, mercenaire en boots et catogan poudré, virtuose du design et sérial érudit, survivant et s'adaptant à toutes les modes avec une versatilité de caméleon feuilletant une encyclopédie en couleurs de l'histoire du costume.


Prisonnier d'une image caricaturale et vendeuse de lui-même qu'il a savamment cousue et qui ne craque jamais, il traverse le temps avec une ductilité effrayante et brillamment opportuniste. Il fait son métier avec la juste prétention qui lui incombe et qui me semble le moindre de ses privilèges. Ses répliques sont souvent pertinentes et savoureuses et en tout cas ne manquent jamais de style:

"Je ne tombe jamais amoureux.je suis seulement amoureux de mon travail. Je crois que c'est bien plus important justement d'aimer son travail. Pour un homme, c'est ce qui compte réellement, à mon avis." KL in Interview (1975)

Alicia Drake a du style elle aussi, et on se laisse embobiner avec délectation par ses récits piquants et doublés d'analyses expertes sur des créateurs qu'elle ne se prive jamais d'épingler. Son long ouvrage entrecroise des époques et brasse des figures qui font parfois rêver: Dior, Loulou de la Falaise, Paloma Picasso ou Warhol... On a vite le tournis au milieu de toutes ces lucioles illustres aux vies si étincelantes... Mais quand les trois petits tours sont faits et que les passerelles se vident,... la chute, l'amertume et la destruction viennent cruellement faire leurs soldes.


La plus triste illustration de ces destins tragiques que la mode fabrique sur mesure pour qui veut bien les revêtir le temps d'un bal, nous est offerte à travers le personnage de Jacques de Bascher, dandy oisif et gigolo hight -class que Lagerfeld et YSL se partagèrent et se disputèrent et qui fut un des nombreux motifs de leur vieille iniquité. Il exerça si bien ses charmes aristocrates et frivoles sur les deux couturiers que le premier en fit la passion de sa vie et le second le catalyseur de son auto-destruction déjà programmée. Quand à de Bascher, il mourut irréalisé et détruit par une sinistre maladie hélas trop à la mode encore de nos jours.

Sic transit gloria modi.