lundi 30 avril 2012

LES FAUX-MONNAYEURS




Adapter ce roman d'André Gide est un défi que voulait relever depuis longtemps Benoit Jacquot. La reconstitution des années vingt et d'un certain milieu de la bourgeoisie protestante est remarquablement réussie. Melvil Poupaud incarne un Edouard, alter ego de Gide, avec un élégance de dandy et un soupçon de charme d'immoraliste très bien dosé. Jacquot, spécialiste de l'adaptation à l'écran de grands classiques, a choisi dans ce récit labyrinthique  une narration éclatée mais en fait centrée sur un de ses thèmes de prédilection : l'initiation au domaine des passions (artistiques, sociales, amoureuses).






 Chaque personnage mis en valeur dans le téléfilm passe par les étapes d'un apprentissage moral qui le conduit à discerner les vraies valeurs des fausses, les vraies affinités des "mauvaises influences", même si selon Gide "toute influence est mauvaise". Un pessimisme teinté de tragique se dégage de l'ensemble comme si toute possibilité d'émancipation et d'épanouissement était entravée par le malentendu général, la solitude égoïste des individus aveuglés par leur désirs ou leurs colères, la méchanceté intrinsèque au système familial ou social.
La falsification du monde, dénoncée par Gide et soulignée par Jacquot, semble une grande machine destinée à broyer les illusions de cette jeunesse se débattant à la recherche d'une nouvelle morale avec une ferveur toujours déçue. Et qui finit dans les larmes...
Le personnage du romancier, maladivement intéressé par les narrations d'autrui, occupe un statut plein d'ambigüité : il collabore aux processus de ses protégés, tire parfois les fils de leurs destins et face à l'inextricable, se retire avec la grâce désolée des spectateurs du pire. 



Destiné au grand public, ce téléfilm a préféré éluder certains aspects de la sensualité gidienne ou du moins les a suggérés avec une pudeur un peu mièvre et hypocrite. Les amitiés particulières qui parcourent la trame de ce roman par ailleurs volontairement déstructuré et expérimental, en ressortent nimbées d'un flou artistique qui confère à l'ensemble une fadeur indigne de l'auteur des "Nourritures terrestres". Par ailleurs l'extrême jeunesse des acteurs qui ressemblent plus à des collégiens qu'à de jeunes bacheliers rend improbables certains de leurs modes de vie ( fugue sans conséquence, voyage à l'étranger, carrière littéraire au sein de revues d'avant-garde...). Qu'importe, on se consolera avec la qualité de l'interprétation de l'ensemble des acteurs et la beauté toute immorale de certains visages.








samedi 28 avril 2012

LEON BAKST


Promenade visuelle dans les croquis enluminés du peintre, décorateur et costumier Léon Bakst. Ce génie russe de la couleur et du mouvement accompagna la grande aventure des Ballets Russes à travers l'Europe de la Belle Epoque en donnant à des chorégraphies comme L'oiseau de feu, Schéhérazade ou Prélude à l'après-midi d'un faune, leurs costumes aux éclats orientaux, aux bigarrures antiques.







Les dessins de Bakst possèdent déjà ce dynamisme et cette sensualité que le danseur ( Nijinski ou Leonid Massine) leur confèrera dans les grandes envolées de la chorégraphie. Ils participent à la rénovation du ballet par le souffle de libération du geste et du corps, par leur féérie visuelle qui mêle les héritages byzantin, baroque, romantique aux soubresauts de la modernité picturale et musicale.



 J'ai eu le plaisir à différents moments de contempler les reliques de certains de ces costumes à la faveur d'exposition à Paris, Barcelone ou Venise : leur originalité demeure intacte malgré les teintes passées et les accrocs du temps. Le raffinement un peu barbare de Bakst est toujours prêt à bondir, à briser les vitrines et à emporter le visiteur dans un carnaval russe sur une musique de Stravinski.












jeudi 26 avril 2012

IRVING PENN




A mes yeux il incarne la référence majeure de la photographie de mode et de la photographie tout court. Irving Penn s'impose par sa rigueur d'architecte, son sens du vertige, le tranchant de ses angles et la douceur évanescente des visages saisis. A une impeccable structure linéaire il sait associer la force des contrastes et la vitalité de postures originales, mêlant le hiératisme et la sensualité. Avec Lisa Fonssagrives il redonne un sens à la notion de muse intemporelle et pose un canon moderne de la beauté d'après-guerre, urbaine, classieuse, mélancolique et racée.



TENNESSEE WILLIAMS


BALTHUS


MARLENE DIETRICH


CECIL BEATON


LISA FONSSAGRIVES










mercredi 25 avril 2012

CATHERINE SANS REPULSION




Polanski est un vraiment un cinéaste pervers, je le constate de nouveau dans son célèbre film REPULSION où il mène la vie dure à la jolie Mlle Ledoux, incarnée par une ravissante Catherine Deneuve. Film surfait et tordu dans la forme et le fond, semé d'effets empruntés à Hitchcock, naviguant entre une épouvante inefficace et un fantastique à tendance psychologisante sur l'éternelle hystérie féminine, on finit par s'y ennuyer ferme et à ne plus vouloir que sortir de ce huis-clos.
Le sadisme libidineux du réalisateur n'est que le prétexte à un exercice de style de cinéaste juvénile parfois réussi (belle photographie du swinging London, gros plans saisissants, objets très bien filmés) mais qui cache mal le narcissisme pervers du réalisateur à l'endroit de sa trop belle actrice. Faire se tordre de frustration et de nymphomanie refoulée son héroïne vierge et l'abandonner à toutes les manipulations de sa caméra, tel est le vrai mobile de ce délit cinématographique. Heureusement j'ai réussi à sauver de cette fantasmagorie sans queue ni tête quelques jolis clichés de Catherine plus belle du jour que jamais. La Deneuve sauve toujours un film de notre répulsion.


                             

samedi 21 avril 2012

LA CONFUSION DES SENTIMENTS




Je relis pour la troisième fois, à dix ans d'intervalle, ce récit de Stefan Zweig publié en 1927 qui retrace avec le style à la fois très émotionnel et hautement psychologique qui caractérise l'humaniste viennois, la relation ambigüe d'un étudiant et de son vieux professeur d'université. Or à chaque lecture je constate que je m'éloigne un peu plus de la perspective naïve et adolescente du narrateur pour me rapprocher de la ténébreuse maturité du maître, et cette longue nouvelle se charge à ma lecture d'une dimension de plus en plus élégiaque et tragique. Ce drame de l'impossible épanchement amoureux, de la passion sensuelle liée aux plus hautes exigences de l'esprit, de l'idéal de transmission intellectuelle inspiré par de secrets désirs et mêlé aux désordres de la chair, réussit à m'émouvoir avec de plus en plus de force.


Tout le drame d'une époque éminemment savante et cultivée mais prisonnière d'un puritanisme moralisant, se dessine dans le destin de ce maître voué au secret, à la double-vie dégradante, à la frustration et au mensonge avec l'objet même de son désir. Mais au-delà de la répression sociale qui rend inconcevable cette relation amoureuse avec le disciple et fait de ce récit un drame débordant de pathétique, c'est aussi la propre inaptitude du disciple à saisir sous la complicité intellectuelle, les intentions affectives et érotiques du maître qui définit la dimension tragique de cette relation. Cet amour-là, n'est pas seulement rendu impossible par la sanction de la morale ou de la loi : cette impossibilité est inscrite dans la nature même du plus jeune, voué à d'autres attractions, exclusivement séduit par des sources de plaisir aux antipodes de la vieille et triste figure du maître pour laquelle il ne ressentira jamais rien d'autre qu'une admiration fasciné  qui dans le meilleur des cas se traduira en tendresse filiale, et c'est déjà immense. 



C'est ainsi que Zweig, au-delà de l'anecdote morale et de la confession/confusion ( probablement un peu autobiographique) d'un homosexuel européen entre deux âges et entre-deux guerres, nous invite à réfléchir à la fatale inadéquation entre les âges de la vie, à l'éternel malentendu qui est qui cœur de toute relation amoureuse, au tragique échec des solitudes ayant cherché un temps à se rapprocher et s'étreindre.

"Ce qui m'effrayait surtout c'était sa solitude complète. Cet homme ouvert, d'une nature absolument expansive, n'avait aucun ami; seuls ses élèves étaient sa société et sa consolation. Souvent il restait des jours entiers sans sortir de sa maison. Il entassait tout en lui-même, silencieusement, sans se confier ni aux hommes, ni à l'écriture. Et soudain je comprenais aussi le caractère éruptif, le jaillissement fanatique de ses discours au milieu des étudiants : c'était son être qui s'épanchait soudain après des journées passées à accumuler."


"Etant elle-même beauté, la jeunesse n'a pas besoin de sérénité : dans l'excès de ses forces vives, elle aspire au tragique, et dans sa naïveté, elle se laisse volontiers vampiriser par la mélancolie. de là vient aussi que la jeunesse  est éternellement prête pour le danger et qu'elle tend en esprit, une main fraternelle à chaque souffrance."



"Car cet homme à la haute intellectualité, pour qui la beauté des formes étaient un besoin inné, vital, ce connaisseur raffiné de tous les sentiments, se voyait infliger les derniers outrages de cette terre dans ces bouges enfumés aux lumières troubles, ouverts seulement aux initiés : il connaissait les insolentes exigences des jeunes gandins fardés qui arpentent les promenades, la familiarité douceâtre des garçons coiffeurs trop parfumés, le rire excité et comme forcé des travestis, dans leurs vêtements de femme, la soif enragée d'argent des comédiens sans engagement, la tendresse grossière des matelots chiqueurs, toutes ces formes perverses, inquiètes, inverties et fantastiques dans lesquelles le sexe égaré se cherche et se reconnaît, dans la marge la plus louche des cités."


vendredi 20 avril 2012