samedi 28 décembre 2013

PROUST TOUT CONTRE COCTEAU


L'excellent essai de Claude Arnaud "Proust contre Cocteau" étudie les figures libres de ces deux écrivains majeurs et antithétiques du XXème siècle. Loin de s'en tenir à une amitié mondaine de princes du snobisme où on veut parfois les cantonner, ceux-ci tissèrent une vraie relation d'intimité morale et littéraire, se reconnaissant l'un l'autre dans leur génie et se dénigrant dans leurs excès, avec un flair de futurs monstres sacrés. Une génération les séparait, Proust dans "sa quarantaine", reclus dans sa chambre de liège, naissant à peine à la condition d'écrivain, voulait convertir à l'ascèse littéraire l'éblouissant et insaisissable Cocteau déjà sacré à 20 ans prince des poètes frivoles. 
Nourrie de confidences, d'encouragements, d'exaltation, de services rendus mais aussi entravée de crises de jalousie, d'infidélités et d'ingratitudes, leur amitié traversa la grande guerre et s'acheva avec la mort de Proust consacré dernier des grands romanciers et les métamorphoses de Cocteau en étonnant porte-drapeau des avant-gardes.
Claude Arnaud, déjà magistral auteur d'une biographie fleuve sur Cocteau, livre ici un ouvrage dense et pointu qui se lit comme un roman d'époque où circule tout le beau monde et toutes les vicissitudes du début du siècle passé. Proust et Cocteau y frottent leur âme et leur hypersensibilité créant sous la plume de l'essayiste une électricité géniale.





Il est un épisode évoqué par Arnaud qui parmi tant d'autres a frappé mon imagination et stimulé ma rêverie littéraire. La rencontre de Proust et Cocteau au Louvre devant le Saint-Sébastien de Mantegna que les deux écrivains contemplaient et commentaient. Cette scène pose à mes yeux une sainte trinité sublime, mes deux écrivains adorés devant une des plus célèbres représentations de mon saint fétiche!
On aurait parfois aimé être une mouche muséale posée sur le rebord du cadre de Mantegna, à cette matinée de 1912 pour ne rien perdre de la conversation…

"Les deux hommes communiaient dans leur admiration pour l'art de Mantegna et l'anatomie de sa victime. Soudain, Cocteau se met à dire La Pallas d'Homère", l'un de ses tous derniers poèmes, avec cet enthousiasme qui enflamme tout ce qu'il évoque. Un moment si fort que Proust reparlera souvent de ce matin glorieux où le soleil perçait Saint-Sébastien de ses flèches."

Claude Arnaud, Proust conte Cocteau, Grasset