lundi 25 avril 2011

UN TRAMWAY DANS LA NUIT

Assister à une mise en scène de "Un tramway nommé désir" de Tennessee Williams est un expérience vouée à la déception tant le film de Kazan a figé dans nos esprits le souvenir éblouissant de Vivien Leigh et de Marlon Brando comme Blanche Dubois et Kowalski. Si soignée que soit l'adaptation dans une autre langue et si pertinents les choix de transposition du metteur en scène, si talentueux soient les acteurs... rien n'efface le chef-d'oeuvre cinématographique.



C'est dommage, car la pièce de Williams est d'une richesse qui va bien au-delà du scénario pour monstres hollywoodiens. L'animalité de Kowalski et le jeu d'illusionniste de Blanche dialoguent dans ce psychodrame sombre comme les deux forces antagonistes et complémentaires qui définissent l'origine et le principe du théâtre: le courant apollonien et le dionysien. Art du mensonge aux subtils artifices ou morceau de réalité crue jetée à la gueule du spectateur? Effets spéciaux du beau langage et des drapés miroitants des costumes...ou sueur de la chair frémissante, coup de poing contre l'hypocrisie? Blanche, Cléopâtre de pacotille est une comédienne de l'existence, agonisante et étincellante comme un crépuscule tragique: l'allégorie d'un théâtre poétisant et artificiel qui ne vit que de trucs et trompe-l'oeil.



Face à elle, le polonais brutal et incontrôlable, catharsis ambulante, explosion dionysiaque d'un théâtre de la cruauté qui est la face nue de l'existence dont il voudrait arracher tous les masques. La rencontre de ces deux forces- la civilisation aux raffinements décadents et aux charmes corrompus avec la bestialité glorieuse et bornée, hostile par essence et vouée à détruire- pose un des conflits les plus passionnants du répertoire théâtral universel. Tennessee Williams en effet, ne peut pas se réduire à un vaudeville amélioré d'un peu de sex-appeal et de coquetterie efféminée, comme certains veulent le faire entendre: c'est une oeuvre déchirée de tensions adversaires qui nous parlent de l'essence-même du théâtre dans sa dimension la plus sacrificielle. Il s'agit bien ici de rendre sacrées ces figures triviales qui portent, chacune à leur manière, un lambeau de la faute universelle et le "belle rêve" d'une purification rarement concrétisée.





Il incombe au metteur en scène de s'éloigner parfois du mélodrame cinématographiquepour souligner la mise en abîme de l'art théâtral que cette pièce met sous nos yeux. Duo d'érotisme, duel de violence poétique et sensuelle, rituel de mort... voilà ce que seule une représentation théâtrale peut transmettre, peut faire sentir au public.


Plutôt que la transposition convenable d'un film mille fois vu et aimé, on aurait désiré sentir la pulsation sordide du sexe et l'élan mystique vers le sublime. Et que tout s'achève dans cette impasse de la folie, mère et mégère depuis l'antiquité de toute grande dramaturgie. Car elle rôde sempiternellement, cette folie du poète sudiste, comme ce tramway qui passe et qui conduit aussi au cimetière. Et elle sacrifie Blanche, la victime expiatoire de cette vieille tradition dramatique dans laquelle le théâtre de Williams ne se laisse pas enfermer.

Blanche, émouvante victime d'un monde primitif et matériel, à l'égoïsme brutal, aux instincts simplifiés qui n'a pour but que l'élimination des créatures en papier de soie rouge de chine.

dimanche 24 avril 2011

UNE ETOILE FUYANTE


Marie-France Pisier, c'est 50 ans de vie et de cinéma français. Une femme française traversant les décennies , libertaire et chic, passionnée et rationnelle. Elle a eu le génie de pouvoir incarner sur nos écrans à la fois la jeune fille idéale et la grande bourgeoise un peu perverse. Militante du féminisme elle est aussi le symbole d'une certaine classe française grâce au raffinement de ses traits, à son élégance imperturbable et à sa voix au timbre si particulier de fille de bonne famille qui se dévergonde. Sa vie comme sa mort mystérieuse semblent avoir été conçues pour un scénario de film que nous ne cesserons de revoir.







jeudi 21 avril 2011

DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON




"Alors ne me refusez pas de me dire l'objet, je vous en prie, de votre fièvre, de votre regard sur moi, la raison, de me la dire; et qu'il ne s'agit point de blesser votre dignité, eh bien dites-la comme on la dit à un arbre, ou face au mur d'une prison, ou dans la solitude d'un champ de coton dans lequel on se promène, nu, la nuit."




"Deux hommes qui se croisent n'ont pas d'autre choix que de se frapper, avec la violence de l'ennemi ou la douceur de la fraternité. Et s'ils choisissent à la fin, dans le désert de cette heure, d'évoquer ce qui n'est pas là, du passé ou du rêve, ou du manque, c'est qu'on ne s'affronte pas directement à trop d'étrangeté."




"Il n'y a pas d'amour. Il n'y a pas d'amour. Non, vous ne pourrez rien atteindre qui ne le soit déjà, parce qu'un homme meurt d'abord, puis cherche sa mort et la rencontre finalement, par hasard, sur le trajet hasardeux d'une lumière à une autre lumière, et il dit: ce n'était donc que cela."

Photographies de Robert Mappelethorpe sauf la dernière de Steven Klein.

dimanche 17 avril 2011

MEMOIRES D'HADRIEN, RÊVES D'ANTINOÜS


"Ce jeu mystérieux qui va de l'amour d'un corps à l'amour d'une personne m'a semblé assez beau pour que je lui consacre une part de ma vie."

"...qu'un seul être... nous hante comme une musique et nous tourmente comme un problème; qu'il passe de la périphérie de notre univers à son centre, nous devienne enfin plus indispensable qu'à nous-mêmes, et l'étonnant prodige a lieu, où je vois bien davantage un envahissement de la chair par l'esprit qu'un simple jeu de la chair."




"Le visage d'un autre m'a préoccupé davantage. Sitôt qu'il rentra dans ma vie, l'art cessa d'être un luxe, devint une ressource, une forme de secours. Il existe aujourd'hui plus de portraits de cet enfant que de n'importe quel homme illustre, de n'importe quelle reine."



"Trahit sua quemque voluptas. A chacun sa pente: à chacun aussi son but, son ambition si l'on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal. Le mien était enfermé dans ce mot de beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences des sens et des yeux. Je me sentais responsable de la beauté du monde."




"Antinoüs, couché au fond de la barque, avait appuyé la tête sur mes genoux. Ma main glissait sous sa nuque, sous ses cheveux. Dans les moments les plus vains ou les plus ternes, j'avais ainsi le sentiment de rester en contact avec les grands objets naturels, l'épaisseur des forêts, l'échine musclée des panthères, la pulsation régulière des sources. Mais aucune caresse ne va jusqu'à l'âme."



Marguerite Youcenar

MEMOIRES D'HADRIEN


samedi 16 avril 2011

LE DORIPHORE


Qu'il est doux et rassurant de savoir qu'à quelques pas de chez soi, monte la garde, du haut de ses 2 mètres et de ses 2000 ans, un doriphore rescapé de Pompéi. Il a traversé le temps et l'océan pour poser son regard de marbre sur les flâneurs du Musée de Bellas Artes.



Doriphore, copie romaine de l'original grec de Policlète, Ier siècle.

jeudi 14 avril 2011

ALEX STODDART

Découvert sur Flickr où il a ses admirateurs, voici quelques clichés de Alex Stoddart un jeune britannique réalisant de troublants autoportraits dans la nature, en forêt, avec interventions d'objets dans l'espace ( qui me séduit plus ou moins) et une mise en scène corporelle très aboutie. Et il n'a que 18 ans! O rage ô désespoir ô jeunesse ennemie!
Interview par My Modern Metropolis:









jeudi 7 avril 2011

CLIFT AND LIZ IN THE SUN

"Une place au soleil" est une lumineuse occasion de revoir le couple Taylor/Montgomery dans tout l'éclat de leur jeunesse et de leur talent. Le film vaut surtout pour le visage angoissé de Clift et la candeur érotique de Liz, joue contre joue valsant le temps d'un été dans un rêve de bonheur aussitôt brisé. Le moralisme américain innonde toute la pellicule. La pauvre fiancée engrossée de Clift mérite bien un coup de rame dans la gueule et de finir au fond du lac. Et en plus j'aurais voulu que cet ambitieux vélléitaire épousât sans remords la blanche Liz et finît par la tromper avec les employés crasseux de l'usine à beau-papa. Mais il fallût qu'on en fît de la chair éléctrique. Consolons-nous avec ses screen-captures!








samedi 2 avril 2011

LE JOUR SE LEVE

Je reprends le chemin de l'univers de Marcel Carné et Jacques Prévert dont j'aime le réalisme poétique, les scénarii aux mélodrames mesurés, les images parfaitement photographiées, les acteurs si éblouissants dans leur sincérité qu'ils nous paraissent tous si familiers. Arletty qui est un poème à elle seule, "pas belle, mais vivante" comme elle se décrit en une sublime réplique, sa présence d'éternelle fille du peuple, gouailleuse mais raffinée dans ses sentiments, drôlement dramatique et toujours sur la bréche entre l'humour triste et la mélancolie pétillante. Son visage et ses intonations dans "Le jour se lève" atteignent un niveau d'émotion parfaite. Il faut la contempler quand elle regarde avec des yeux de merlan frit le visage fermé de Jean Gabin, amant de passage et impossible amour.

Tout est dit dans ces yeux-là du bonheur d'aimer et de la fragilité de cet état furtif. C'est bien de cela qu'il est question dans ce film, du désir de voir se lever un jour idéal et pur sur une existence noire de fatigue, de douleurs et de dégoûts. Chacun y cherche sa petite parcelle de bonheur, chacun vient s'abreuver dans les yeux de l'autre de cet espoir d'un amour possible, de quelque chose de propre dans ce monde sans scrupule pour les entichés d'idéal. Evidemment le jour se lèvera avec une aube aussi rose que cruelle, corrompu dans ses premiers éclats, après une nuit obscure et tourmentée qui empeste la mort. C'est en fait une tragédie prolétarienne pour un homme incarcéré, un homme qui a eu le mauvais goût de croire en un rêve d'amour et de bonheur, lui qui n'était qu'un pauvre gars malmené par l'existence et abîmé dans les pires travaux. Il y a toujours quelqu'un pour venir frotter ses souliers crottés sur votre petit lit blanc. Et cela suffit pour commettre son petit crime pas prémédité contre le monde et contre soi.
Un film vraiment bouleversant et parfaitement abouti. Les dialogues de Prévert sont des tours de force de simplicité et profondeur morale. Jean Gabin est au sommet de son art et de sa maîtrise de sa gueule d'amour qui une fois perdue le rendra insupportable, cabot et pesant.
On a dans ce film l'occasion de subir le charme de ce visage de Gavroche qui se mêlait à ceux d'Arletty et de la divine fausse ingénue Jacqueline Laurent.

Le grandiose Jules Berry campe un abominable dresseur de chiens et de demoiselles qui avec ses airs de dandy veule et de bellâtre concupiscent me semble cacher d'autres tendances que Carné adorait crypter dans ses films. Que vient-il faire en fait dans la chambre de Gabin le soir, à le harceler, le provoquer, lui parler de sa jeunesse et de la sympathie qu'il aurait suscitée chez son rival? Il y a là des désirs rampants et refoulés que cachent mal le beau veston blanc, le manteau pied de poule et la lèvre humide de l'intrigant.

Mais laissons ses supputations et contentons-nous de regarder ces plans figés dans notre douce mémoire en noir et blanc...