jeudi 30 août 2012

TCHELITCHEV et TCHEKHOV


Voici un peintre, décorateur, artiste touche-à-tout dont je croisais ici ou là les œuvres séduisantes sans jamais vraiment pouvoir en identifier l'auteur. C'est chose faite notamment grâce à ce billet excellent du blog "Les diagonales du temps" qui vous renseignera avec une merveilleuse précision sur la destinée romanesque et l'art éclectique de Pavel Tchelitchev. Certains aspects de son travail me laissent indifférent ou me déplaisent franchement, mais soudain une œuvre apparaît et se détache, stupéfiante, irrésistible, côtoyant des productions étranges, maladroites, décevantes... Tchelitchev fut prolifique et désordonné dans sa quête du beau, c'est à ce prix parfois qu'on tombe par hasard sur le sublime et qu'on échoue régulièrement sur des rivages improbables ou médiocres.

http://www.lesdiagonalesdutemps.com/article-pavel-tchelitchev-83671979.html

De la Russie aux USA en passant par l'Ukraine et Paris, il traversa un XXème siècle tourmenté, tantôt richissime, tantôt misérable, mais toujours passionné d'art et entouré d'amis créatifs, d'amants problématiques, (et vice versa). J'aime la variété de son style, la richesse de sa palette, l'intensité qu'il apporte à ses portraits, ici essentiellement masculins, les expérimentations de ses lignes qui témoignent de la grande liberté artistique et morale dont il avait le goût, au risque de se faire mal voir ou oublié par ses contemporains. Une fois contemplées, certaines œuvres ne se laissent pourtant pas oublier si facilement, à vous de voir.

Et pour rester dans cette couleur slave, quelques citations du bon oncle Anton Tchekhov qu'on aime à se rappeler.


"La paresse et l'oisiveté, c'est contagieux!"


"On souffre moins quand on ne voit pas celui qu'on aime."


"Lorsqu'on n'a pas de vie véritable, on la remplace par des mirages."


"L'indifférence est une paralysie de l'âme."


"Nous ne sommes pas heureux et le bonheur n'existe pas, nous ne pouvons que le désirer."


"Ne peut-être beau que ce qui est grave"


"Il n'y a rien dans la vie qui vaille la peine de donner au Malin la plus petite parcelle de son âme."


"L'état normal d'un homme est d'être un original"


"Il n'y a rien de nouveau dans l'art, excepté le talent."


vendredi 24 août 2012

THÉSÉE selon GIDE



En 1947, un an avant de recevoir le Prix Nobel de Littérature, André Gide fait paraître "Thésée", fiction biographique sur le mythique héros athénien. Celui-ci, empruntant la voix de l'auteur ( et vice-versa ), revient sur les épisodes saillants de sa légende avec une sincérité digne d'un examen de conscience. Cette œuvre brève et dense à l'image du style gidien saisit le prétexte de la figure héroïque pour souligner les lignes de force d'une existence pleine de ferveur, celle d'un homme qui va au devant de son destin, le dompte et s'en affranchit avec courage et clairvoyance.
Leçon de lucidité et itinéraire d'un "libérateur" de lui-même et des autres, le récit est une synthèse des obsessions de l'auteur,  à l'éclairage d'un mythe qui entrecroise les perspectives de la rationalité grecque aux courbes labyrinthiques de la volupté méditerranéenne. 
Ce n'est pas l'œuvre de Gide qui m'aura le plus marqué, "Les nourritures terrestres", "L'immoraliste" et  la deuxième partie de "Si le grain ne meurt" ayant déjà aidé adolescent à briser ma coquille. Suivant les conseils du narrateur, j'avais ensuite tel le bon Nathanaël, jeté ces livres pour trouver seul, à la faveur du vent, des ferveurs plus personnelles.
Dans "Thésée" où l'on perçoit la voix assagie d'un maître en émancipation, on peut toujours apprécier  la précision classique de la langue et la persistance d'une pensée dont l'influence ( forcément " mauvaise"? ) n'a rien perdu de sa vigueur.



"En face de moi, sur un parterre fleuri de renoncules, d'adonides, de tulipes, de jonquilles et d'œillets, en une pose nonchalante, je vis le Minotaure couché. Par chance, il dormait, j'aurais dû me hâter et profiter de son sommeil, mais ceci m'arrêtait et retenait mon bras: le monstre était beau. Comme il advint pour les Centaures, une harmonie certaine conjuguait en lui l'homme et la bête. De plus il était jeune, et sa jeunesse ajoutait je ne sais quelle charmante grâce à sa beauté."



(Icare) : "J'ai parcouru toutes les routes de la logique. Sur le plan horizontal, je suis las d'errer. Je rampe et je voudrais prendre l'essor; quitter mon ombre, mon ordure et rejeter le poids du passé ! L'azur m'attire, ô poésie ! Je me sens aspiré par en haut." 


jeudi 23 août 2012

LES VISITEURS DE L'AIR



Bientôt quatre ans d'activités sur ce blog et un compteur à 300 000 clics, me donnent l'opportunité d'abord de saluer et de remercier infiniment les visiteurs réguliers, les "happy few" comme disait Stendhal, pour lesquels on écrit, lui ses chefs-d'œuvres, et nous blogueurs, nos petits billets. 
Je ne crois pas aux statistiques, ni à ces relevés de chiffres qui correspondent en réalité à une comptabilité artificieuse de robots visiteurs de sites à visée promotionnelle. M'importent bien plus les coups d'œil, les sauts de billets en billets et les commentaires généreusement laissés qui témoignent de votre attention, de vos échanges, de vos suggestions toujours bien accueillies, même si je ne peux pas toujours commenter les commentaires. 
 Il y a aussi des passages difficiles dans la vie d'un blog, des virages étonnants, des statu quo, des zones d'incertitude, des tentations d'abandonner... Mais l'envie de partager une découverte intellectuelle ou esthétique, des éclats d'ailleurs, des mots qui tombent juste,  reprend vite le dessus et apporte sa continuité à un projet d'espace virtuel et personnel qui devient une sorte de cabinet de curiosités contemporain. Un cabinet virtuel qui voyage jusqu'à vous et témoigne exclusivement des goûts et fascinations que je recueille au flux ininterrompu de la toile et du temps.


Images Ecole de Rubens "Eole ou l'air" / Franz Francken " Cabinets de curiosités"

samedi 18 août 2012

PHOTOS DE JEUNESSE



Glanées sur le web, ces photographies vintage de jeunes hommes inconnus, récupérées par quelque fétichiste au fond d'une brocante ou d'un vieil album de famille, nous emplissent de nostalgie et nous font soudain sentir le vertige du temps. Saisis avec la géniale maladresse des amateurs, ces clichés célèbrent le court instant de vie où un doux narcissisme ne nous fait pas redouter l'opération parfois cruelle de la caméra. Les jeunes gars y posent seuls ou entourés d'amis, dans l'innocent éclat d'une beauté qui se réjouit ou qui s'ignore et que les années ne tarderont pas à corrompre comme la pellicule jaunie du papier où l'éternité les a couchés. Que sont devenus ces garçons frais et insolents? Quels remous d'une banale existence ou quelle déferlante de l'histoire les a donc engloutis ? Leur beauté surnage sur l'oubli, à la surface glacée d'un papier et d'un écran où notre rêverie les interroge.






"Que reste-t-il de nos amours
Que reste-t-il de ces beaux jours
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse
Que reste-t-il des billets doux
Des mois d' avril, des rendez-vous
Un souvenir qui me poursuit
Sans cesse"






"Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela
Dites-le-moi"





samedi 11 août 2012

CADMUS, la pesanteur et la grâce





C'est mon deuxième billet sur le peintre américain Paul Cadmus dont les dessins d'académies langoureuses rappellent la délicatesse des grands maîtres de la Renaissance qu'il admirait tant. C'est du reste la seule partie de son œuvre qui me séduise et me touche vraiment car ses grandes compositions colorées ont du mal à mes yeux à se détacher d'un certain kitsch pompier américain... Par contre ses nus masculins abandonnés au sommeil, à la volupté, à la rêverie, expriment malgré leur intense charge érotique une fragilité et une tension que j'ose qualifier de mystique.
Une immense vulnérabilité émane de ces corps splendides, voluptueusement repliés sur leur nudité, couchés sur le papier comme sur le ciel, égratignés de coups de crayons, d'où jaillit une lumière pleine de grâce. C'est pourquoi je fais se croiser ici les dessins de Cadmus avec quelques citations choisies de la philosophe mystique Simone Weil, une des pensées qui m'a le plus impressionné durant mon adolescence et dont le rayonnement  ne cesse de me poursuivre.

«Le mal est à l'amour ce que le mystère est à l'intelligence.» 



«Le beau est ce qu'on ne peut pas vouloir changer.» 



«La plénitude de l'amour du prochain, c'est simplement d'être capable de lui demander : "Quel est ton tourment ?"» 




«Toutes les tragédies que l’on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie : l’écoulement du temps.» 



«La pureté est le pouvoir de contempler la souillure.» 



«Parmi les êtres humains, on ne reconnaît pleinement l’existence que de ceux qu’on aime.» 



«La joie est notre évasion hors du temps.» 


«Dieu ne peut être présent dans la création que sous la forme d'absence.»



«Nous ne possédons rien au monde - car le hasard peut tout nous ôter - sinon le pouvoir de dire “je”.» 



«L'amour est un signe de notre misère. Dieu ne peut aimer que soi. Nous ne pouvons aimer qu'autre chose.» 




mercredi 1 août 2012

BAIGNEURS IMPRESSIONNISTES


Avec les dormeurs et autres plongeurs, les baigneurs sont un des thèmes picturaux les plus traités et qui me semble paré de toutes les séductions: corps juvéniles et solaires, cadre estival et bucolique, scène idyllique d'amitié et sensualité... Le carpe diem au bord d'une rivière ou d'un lac représente un idéal de vie hédoniste, délicieusement oisive, consciente de la fugacité de l'instant. Tout cela rejaillit jusque dans la fluidité de l'eau, de la lumière, du désir caressant les peaux. Pas étonnant que les peintres de l'impressionnisme, soucieux de capter les sensations fluctuantes du réel et de saisir les moindres variations de la lumière, se soient passionnés pour ce motif ici décliné sur le mode masculin par Cézanne, Manet, Caillebotte ou plus tard Seurat.