mercredi 31 octobre 2012

JOURNAL DU JOURNAL DU VOLEUR



Je jette ici, dans un désordre de cambrioleur trop pressé, les impressions et rapides remarques suscitées par ma récente relecture du "Journal d'un voleur" de Jean Genet, ainsi que quelques extraits du récit qui pourront eux au moins, profiter à ceux qui auraient la patience de parcourir ces lignes.


Relire Jean Genet est la garantie d'expérimenter à nouveau ces états de stupéfaction et de troubles provoqués par une première lecture durant l'adolescence. C'était alors davantage le choc d'un dépucelage littéraire que ce "Journal du voleur " m'infligea. Pareille exhibition de moeurs dites mauvaises, avec autant de grâce et finalement une certaine innocence dans le crime, ( parce qu'accompli avec un sens complet de l'abandon), voilà ce qui  à 15 ans constitua pour moi la violence de cette lecture.


"Je nomme violence une audace au repos amoureuse des périls" explique Genet, décrivant la sensation du lecteur ouvrant son livre comme une boîte de Pandore dont s'échapperaient les plus séduisants dangers pour le corps et l'esprit. Au fond de ce coffret à mots, de cette cache romanesque, demeure un don unique, rescapé du malheur et de la destruction globale : l'espérance sous sa forme lisible, l'écriture. Un poème survivra au désastre. Un "chant d'amour" s'élévera au terme de la chute.


 La violence des actes, pensées et rêveries qui sont décrits dans ce journal romanesque me semble insolite en littérature. Certes il y eut Sade et les libertins, il y eut Lautréamont et Bataille. Mais ce que Genet apporte d'inédit c'est que tandis que ses prédécesseurs redoublaient d'invention érotique et surenchérissaient dans le raffinement pervers, lui dépose sa vérité toute sale et toute nue et avec une candeur désarmante, "avec une magnificence secrète, voilée, sans arrogance." Comme on déposerait un somptueux étron sur les pavés luisants de l'entrée d'une cathédrale, à la sortie de la messe. 



"Jamais je ne cherchais à faire de ma vie misérable autre chose que ce qu'elle était, je ne cherchais à la parer, à la masquer, mais au contraire je la voulus affirmer dans sa sordidité exacte, et les signes les plus sordides me devinrent signes de grandeur."

 La puissance de ce style toujours vigoureux et dressé dans tout l'éclat de son évidence pour décrire "les moeurs de la vermine" et tous les charmes de l'inversion est simplement fascinant. Le texte, à l'écriture dense, dure et irriguée d'un flux d'images jaillissantes, bande comme un membre viril.



"Dire qu'il est beau décide qu'il le sera. Reste à le prouver. S'en chargent le images, c'est-à-dire les correspondances avec les magnificences du monde physique. L'acte est beau s'il provoque et dans notre gorge fait découvrir le chant. Quelquefois la conscience avec laquelle nous aurons pensé un acte réputé vil, la puissance d'expression qui doit le signifier, force au chant."

Le texte-sexe provoque la sidération et le désir, deux modalités répondant du reste à la même étymologie ( sider.eris, en latin : l'astre ; être sous l'influence d'un astre pour la première et regretter un astre disparu pour le second.)

"Avec un soin maniaque, "un soin jaloux", je préparai mon aventure comme on dispose une couche, une chambre pour l'amour : j'ai bandé pour le crime."




J'ai toujours caressé l'idée fort improbable que le trop génial Genet n'est qu'une supercherie littéraire. Je n'arrive pas à y "croire", puisqu'il faut parler en termes mystiques. Comment un pauvre orphelin, un  délinquant récidiviste, un vagabond amoureux de la pègre, un aventurier de toutes les infamies, a-t-il pu mener concrètement, une relation si régulière et si nourrie avec ce que la langue et la littérature françaises ont produit de plus sublime? Comment parvient-il à atteindre ce chant ? Là est le vrai " Miracle de la rose" naissant et s'épanouissant en de splendides variations, sur du fumier...

"Mais où prend-il ce crachat, me disais-je, d'où le fait-il remonter si lourd et blanc? Jamais les miens n'auront l'onctuosité ni les couleurs du sien. Ils ne seront qu'une verrerie filée, transparente et fragile."



Je ne peux m'empêcher de retrouver dans les trouvailles et la verve poétique de Genet des traces du style de Cocteau, tel qu'on peut le lire dans " Thomas l'imposteur" ou le "Le livre blanc". Cette écriture brûlante, tranchée, serrée. Je ne peux m'empêcher de rapprocher le somptueux"Plain-Chant" du "Condamné à mort", lequel reprend et pousse à l'extrême certains motifs du premier. Les veines de Cocteau parcourent  très visiblement  le marbre genetien.

Une étude comparative appliquée révèlerait sans doute cette influence, tout comme on renifle celle de Sartre et de sa philosophie sur le plan moral. Pour le coup, c'est Sartre lui-même, a posteriori, qui avec "Saint-Genet, comédien et martyr" examine avec la minutie cruelle du spécialiste tombant sur un spécimen, la dimension d'exemplarité de Genet quant à l'existentialisme. Une opération dont la victime ne sortira pas tout à fait indemne.  


" Je travaillerai à concevoir ma solitude et mon immortalité, à les vivre, si un idiot désir de sacrifice ne me fait sortir d'elles."


 Genet, enfant caché de Cocteau et Sartre, ses parrains secrètement alliés dans l'écriture à deux mains d'une œuvre qu'ils ne pouvaient pas se permettre? Ces deux protecteurs et catalyseurs du phénomène littéraire que fut Genet au sortir de la guerre? N'en sont-ils pas aussi les inventeurs?
Certes, comme on est l'inventeur d'une grotte préhistorique découverte par hasard mais qui existait depuis toujours, dans les profondeurs dangereuses, refuge des barbares où s'élaborent les peintures rupestres et sacrées et les gemmes flamboyants qu'il faudra savoir extraire. Car Genet, génie primordial, sui generis, est tout cela à la fois : peintre primitif de l'underground, ennemi déclaré, diamant  dont les impuretés font tout le charme. Diamant brut et tranchant, qu'un beau voleur de feu aurait dérobé avant de l'enfouir au plus secret repli de son amant.




dimanche 28 octobre 2012

CHARMES



Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème !

O semblable ! ... Et pourtant plus parfait que moi-même,
Ephémère immortel, si clair devant mes yeux,
Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux,
Faut-il qu'à peine aimés, l'ombre les obscurcisse,
Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse,
Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit !




Qu'as-tu ?
                    Ma plainte même est funeste ? ...
                                                                     Le bruit
Du souffle que j'enseigne à tes lèvres, mon double,
Sur la limpide lame a fait courir un trouble ! ...
Tu trembles ! ... Mais ces mots que j'expire à genoux
Ne sont pourtant qu'une âme hésitante entre nous,
Entre ce front si pur et ma lourde mémoire ...




Je suis si près de toi que je pourrais te boire 
O visage ! ... Ma soif est un esclave nu ...       
Jusqu'à ce temps charmant je m'étais inconnu,
Et je ne savais pas me chérir et me joindre !
Mais te voir, cher esclave, obéir à la moindre
Des ombres dans mon cœur se fuyant à regret,
Voir sur mon front l'orage et les feux d'un secret,
Voir, ô merveille, voir ! ma bouche nuancée
Trahir... peindre sur l'onde une fleur de pensée,
Et quels événements étinceler dans l'œil !






J'y trouve un tel trésor d'impuissance et d'orgueil,
Que nulle vierge enfant échappée au satyre,
Nulle ! aux fuites habiles, aux chutes sans émoi,
Nulle des nymphes, nulle amie, ne m'attire
Comme tu fais sur l'onde, inépuisable Moi !... "

Extraits du Narcisse de Paul Valéry







Photographies:
Sébastien Paul Lucien
www.splphotographie.blogspot.com.ar

jeudi 25 octobre 2012

ARCHERS



              Archer. male nude study. 1914. Andre Etienne Leon Auguste Buthaud.


SAINT-SÉBASTIEN


Je suis inutile et je suis nuisible ; 
Ma peau a les tons qu'il faut pour la cible. 
Valets au pouvoir public attachés, 
Tirez, tirez donc, honnêtes archers !



La première flèche a blessé mon ventre, 
La seconde avec férocité m'entre 
Dans la gorge, aussi mon sang précieux 
Jaillit, rouge clair, au regard des cieux.

Je meurs et là-haut sont dans les platanes 
Des oiseaux charmeurs. En bas de bons ânes 
Mêlés à des ours, brutes qu'il ne faut 
Jamais occuper des choses d'en haut.

CHARLES CROS
Le collier de griffes ( 1908 - posthume)





FARKAS MOLNAR




                               SIR JOSHUA REYNOLDS




BARON VAN STILL FRIED



HANS VON TOMAS


HANS BALDUNG GRIEN

mercredi 17 octobre 2012

PAYS NATAL



A la dérive, ma barque solitaire descend le fleuve de la mémoire.
Fleuve sombre où se réflètent bien des visages aimés.
On a beau fuir sous d'exotiques ou tristes tropiques, ouvrir ses ailes sous des horizons qu'on voudrait toujours inconnus, concevoir sa vie comme une illusoire série d'évasions, le mal du pays nous rattrape toujours et la mère-patrie saigne quelque part en nous.

Nostalgie :"la douleur du retour", ou le retour de la douleur?
Mot que les anciens grecs inventèrent pour les marins, les voyageurs, les missionnaires et les exilés, tous les Ulysse à venir....
Retour vers un lieu qui n'existe plus du reste, puisque ce rivage familier tant désiré le temps de l'absence l'a changé, transformé ou détruit, remplacé par un lieu à réapprivoiser, à domestiquer une fois encore.

 "Home is where it hurts" dit le proverbe.
On habite vraiment là où ça fait mal.
Même si on l'a quitté depuis longtemps, on appartient à ce territoire de l'enfance où l'on revient régulièrement communier avec l'été.

 Le pays natal gémit au fond du coeur ce soir.
Alors j'en convoque les images pour le cérémonial mi-doucereux mi-douloureux du souvenir.
La saudade prend des couleurs du temps!



















Photographies SPL

mercredi 10 octobre 2012

EROS DANS UN JARDIN


Le vent de l'autre nuit a jeté bas l'Amour
    Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc,
    Souriait en bandant malignement son arc,.
    Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour !





    Le vent de l'autre nuit l'a jeté bas ! Le marbre
    Au souffle du matin tournoie, épars. C'est triste
    De voir le piédestal, où le nom de l'artiste
    Se lit péniblement parmi l'ombre d'un arbre,






  Oh ! c'est triste de voir debout le piédestal
    Tout seul ! Et des pensers mélancoliques vont
    Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond
    Évoque un avenir solitaire et fatal.


Oh ! c'est triste ! - Et toi-même, n'est-ce pas ? es touchée
    D'un si dolent tableau, bien que ton œil frivole
    S'amuse au papillon de pourpre et d'or qui vole
    Au-dessus des débris dont l'allée est jonchée.




Poésie de Paul Verlaine "L'amour par terre"

*

Photographies de Sébastien Paul Lucien
www.splphotographie.blogspot.com.ar

jeudi 4 octobre 2012

MEU AMOR MARINHEIRO


Tenho ciúmes,
Das verdes ondas do mar
Que teimam em querer beijar
teu corpo erguido às marés.

Tenho ciúmes
Do vento que me atraiçoa
Que vem beijar-te na proa
E foge pelo convés.


                                                                    Tenho ciúmes
Do luar da lua cheia
Que no teu corpo se enleia
Para contigo ir bailar

                                                                   Tenho ciúmes
Das ondas que se levantam
E das sereias que cantam
Que cantam p'ra te encantar.

                                                          Ó meu "amor marinheiro"
Amor dos meus anelos
Não deixes que à noite a lua
Roube a côr aos teus cabelos

                                                        Não olhes para as estrelas
Porque elas podem roubar
O verde que há nos teus olhos
Teus olhos, da côr do mar.


Fado de António Campos et Joaquim Pimentel.

chanté ici par CARMINHO : http://www.youtube.com/watch?v=c_vvDGkbblc