lundi 9 août 2010

NOT SO BEAUTIFUL PEOPLE


Avec "Beautiful people" Alicia Drake signe à la fois une biographie au vitriol des deux créateurs phares de la mode parisienne Yves Saint-Laurent et Karl Lagerfeld mais aussi une chronique passionnante couvrant sur plus de quatre décades toutes les "splendeurs et misères" du monde de la mode comme l'annonce le sous-titre.
Sur ce dernier point, on tire les conclusions que l'on pressentait à renifler seulement de loin les parfums capiteux et frelatés qui émanent de ce microcosme majeur du monde moderne: la mode est un milieu qui consomme et consume, une usine à glamour emballée dans la course au luxe et au fric fou dont beaucoup ressortent usés et déchirés comme des chiffons que l'on jette... Quelques-uns sortent du lot... mais à quel prix?


A ma droite YSL et son pygmalion-comptable Bergé... Couple pour l'industrie du luxe et la légende du chic. YSL, génial adolescent aux doigts d'or qui avec le temps se métamorphosera en larve agonisante dans son cocon de soieries, d'alcools et de drogues en tous genres. Certes il tire son épingle du jeu avec grâce : des fulgurances de style, des inventions audacieuses portées par l'air du temps, un esthétisme raffiné et exclusif. La récente exposition qui le consacre très théâtralement au Musée du Petit-Palais est une merveille de scènographie et un hommage vibrant rendu à son art de faire des robes sublimes.


On sait depuis Proust qui célébra les tenues d'Odette ou d'Oriane, ou les peignoirs de Fortuny d'Albertine, qu'une robe dans son architecture et les détails ouvragés de ses raffinements peut prétendre sans discussion au statut de cathédrale de tissu et de chef- d'oeuvre de l'artisanat, au sens le plus noble du terme. Mais de là à se proclamer comme YSL" de la race maudite des grands artistes et grands nerveux" il y a un faux pas malheureux sur la passerelle de l'ego: être un grand faiseur de robes est un titre aussi amplement mérité que suffisant. L'art et la mode n'entretiennent que des rapports complices et distants: la mode joue avec les apparences de l'air du temps et en multiplie les effets de surface, l'art lui traverse l'éphèmere et transcende la matière pour nous en restituer l'essence. On peut avoir un certain art à faire de la mode, mais c'est sur un autre mode que l'art se fait.


A ma gauche (mais sur la même rive) Lagerfeld, mercenaire en boots et catogan poudré, virtuose du design et sérial érudit, survivant et s'adaptant à toutes les modes avec une versatilité de caméleon feuilletant une encyclopédie en couleurs de l'histoire du costume.


Prisonnier d'une image caricaturale et vendeuse de lui-même qu'il a savamment cousue et qui ne craque jamais, il traverse le temps avec une ductilité effrayante et brillamment opportuniste. Il fait son métier avec la juste prétention qui lui incombe et qui me semble le moindre de ses privilèges. Ses répliques sont souvent pertinentes et savoureuses et en tout cas ne manquent jamais de style:

"Je ne tombe jamais amoureux.je suis seulement amoureux de mon travail. Je crois que c'est bien plus important justement d'aimer son travail. Pour un homme, c'est ce qui compte réellement, à mon avis." KL in Interview (1975)

Alicia Drake a du style elle aussi, et on se laisse embobiner avec délectation par ses récits piquants et doublés d'analyses expertes sur des créateurs qu'elle ne se prive jamais d'épingler. Son long ouvrage entrecroise des époques et brasse des figures qui font parfois rêver: Dior, Loulou de la Falaise, Paloma Picasso ou Warhol... On a vite le tournis au milieu de toutes ces lucioles illustres aux vies si étincelantes... Mais quand les trois petits tours sont faits et que les passerelles se vident,... la chute, l'amertume et la destruction viennent cruellement faire leurs soldes.


La plus triste illustration de ces destins tragiques que la mode fabrique sur mesure pour qui veut bien les revêtir le temps d'un bal, nous est offerte à travers le personnage de Jacques de Bascher, dandy oisif et gigolo hight -class que Lagerfeld et YSL se partagèrent et se disputèrent et qui fut un des nombreux motifs de leur vieille iniquité. Il exerça si bien ses charmes aristocrates et frivoles sur les deux couturiers que le premier en fit la passion de sa vie et le second le catalyseur de son auto-destruction déjà programmée. Quand à de Bascher, il mourut irréalisé et détruit par une sinistre maladie hélas trop à la mode encore de nos jours.

Sic transit gloria modi.


2 commentaires:

St Loup a dit…

Formidable billet qui confirme qu'il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains, comme disait Flaubert.

St Loup a dit…

Formidable billet qui confirme qu'il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains, comme disait Flaubert.