vendredi 27 août 2010

SOMEONE ELSE?


"Vous l'apprendrez sans doute vous aussi un jour à vos dépens, mais pour un homme sur le déclin, voir un corps dévêtu d'adolescente, c'est boire à la coupe même de Dieu. Je comprends qu'on soit prêt à toutes les bassesses ou à toutes les turpitudes pour connaître cette ultime forme d'extase."


Ainsi se confie Arthur Schnitzler à Roland Jaccard, dans la préface de sa magnifique nouvelle Mademoiselle Else. Tout est dit dans cette phrase rapportée dans la préface. La nouvelle par le biais de la focalisation interne et du monologue intérieur, est une plongée dans les atermoiements de la mademoiselle en question. Celle-ci en moins de quelques heures retranscrites sans interruption narrative, hésite à livrer le spectacle de sa nudité ( et sûrement plus) à la concupiscence d'un homme mûr qui a promis en échange de sauver de la faillite et du déshonneur le père de celle-ci.




Toute la tension morbide et érotique de la Vienne d'avant-guerre rejaillit dans ce récit qui a pour cadre un palace italien à l'atmosphère moite. La rencontre du cynisme de l'élite corrompue et de l'hystérie juvénile viennoise façon Freud atteint ici des sommets. Ecrit en 1924 on trouve dans ce petit livre tous les thèmes et ressorts littéraires de la modernité: la névrose érotique, l'attraction mondaine, les soubresauts d'idéalisme, la fuite dans l'absurde... Et tout ceci est traité dans un style épousant le flux d'une parole intérieure, croisant avec un sens adolescent du paradoxe la volubilité des ingénues ultra-sensibles et la brutale concision des lucidités trop précoces.


La Mademoiselle de Schnitzler, toute enfermée dans son monologue à la Virginia Woolf ou à la manière d'Ariane dans "Belle du seigneur" est un laboratoire des pathologies féminines des années folles. Quand on sait que la propre fille de l'écrivain s'était suicidée quelques années auparavant on comprend qu'il y a quelque chose d'autre dans ce prénom Else. Toute jeune vierge sacrifiée sur l'autel de l'obscénité sociale n'annonce-t-elle les tragédies à venir?

Aucun commentaire: