dimanche 6 novembre 2011

LA PIEL QUE HABITO

Tous les deux ans, la sortie du nouvel Almodovar est une sorte de rendez-vous d'amour cinéphile auquel je me rends avec la certitude de ne pas être déçu. Peu m'importe le choix des acteurs ou l 'intrigue proposée, je sais que ce qui retiendra mon attention c'est la leçon de cinéma offerte par le réalisateur. Almodovar est arrivé ces dernières années à un tel niveau de maîtrise du langage cinématographique que même avec un scénario plus faible ou réchauffé il surpasse en richesse visuelle la plupart des films produits au cours de l'année.

Avec "La piel que habito" il touche à la perfection tant sur le fond que sur la forme. Sur un roman de Thierry Jonquet "Mygale", Almodovar tisse sa propre toile au gré de ses obsessions déjà connues: la loi du désir, la passion dévoratrice jusque dans la mort, les liens affectifs tendus à l'extrême, la folie de l'artiste et la perversion de l'amant portées à leur paroxysme. Toutes les tentations morbides de l'être de désir sont déclinées dans ce film avec une précision de maniaque: le rapt, la séquestration, le viol, la castration, la torture, la défiguration, le crime... L'amoureux ou le créateur sont soumis aux mêmes tentations : posséder intégralement le corps et l'âme de l'être aimé, le prendre dans le réseau de sa passion, de sa jalousie ou de sa haine, l'emprisonner et le remodeler selon sa fantaisie perverse, le sculpter tel un Pygmalion et finir par détuire cette créature entre l'idéal et le monstrueux, pour parachever son oeuvre.



Almodovar sur ce canevas psychanalytique traditionnel, entrecroise les thèmes hyper-modernes qui inquiètent notre époque: les expérimentations et manipulations génétiques sur l'humain, les limites sans cesse repoussées de la chirurgie plastique, les transgressions dans les questions de genres et d'identités sexuelles, l'invasion des images virtuelles et des écrans s'interposant dans notre perception du réel... Tous ces axes de réflexion enrichissent une trame chatoyante sur laquelle le réalisateur brode à l'envi. Le film lui-même en harmonie avec ces thématiques du "cross over" transgresse allègrement toutes les frontières de genre et de registres: thriller angoissant jusqu'à l'asphixie, fiction scientifique, mélodrame aux accents tantôt burlesques tantôt tragiques, essai sur la création et ses rapports ambigus avec la santé mentale... Seul Almodovar peut se permettre cet amalgame qu'il confectionne en virtuose du cinéma et des références culturelles.




Sur le plan visuel, le film est un réservoir de signes et symboles qui donnent le vertige. Jouant avec tous les codes de l'image, il exécute un exercice de style brillantissime sur la surface en positionnant sa caméra à fleur de peau, à fleur d'écran. Jamais une attention aussi clinique n'aura été portée au cinéma sur l'épiderme des acteurs, la texture des objets, le grain de la lumière, la dimension tactile du décor et des objets. Jamais on ne fut si profond en filmant la superficie, jamais on ne fut si proche de l'essence, de l'intime en se focalisant sur la matière, l'enveloppe, les masques, les costumes, les tissus, la chair, le sang... Tout ce qui épouse une forme esthétique à l'oeil du réalisateur et donc au nôtre est ici célébré et magnifié.



Dans ce film narrativement construit à force de découpages et de recollages chirurgicaux, de cuts inattendus et de (hautes)-coutures expertes, tout semble voué à détailler les phénomènes de métamorphose et de transfiguration qui sont au coeur de l'existence et de la poésie. Et la greffe prend formidablement. La plasticiticité de l'ouvrage stupéfie. Almodovar, si mal dans sa peau d'homme, s'invente une autre peau, plus résistante au temps, plus raffinée, plus éclatante, une peau de lumière et de couleur fluides et mouvantes, une peau inaltérable et qui est source d'enchantement: le cinéma. La pellicule de celluloïd est la seule et véritable peau qu'il habite: une merveille qu'il nous fait toucher du doigt.




"La vérité est nue; mais sous le nu il y a l'écorché"




Paul Valéry

3 commentaires:

St Loup a dit…

Mag-ni-fi-que! Bravo Sébastien!

Javier a dit…

Vaya ahora me arrepiento de haberte hecho mi comentario en el facebook, ya sabes mi opinión, se mueve entre el sí y el no, una mezcla nacida de la perplejidad de conocer la evolución de Almodóvar desde su primera película, lo cual te da una perspectiva diferente. Algo que no se me había ocurrido y pienso ahora es que tal vez el Almodóvar más internacional es a la vez el que menos conecta con España. Esto es un mero apunte, ya que mi admiración es inquebrantable, obviamente con sus altos y sus bajos.

Sébastien Paul Lucien a dit…

Tu opinion es siempre interesante, es verdad que Almodovar esta percibido con otra mirada dentro y afuera de su pais.Lo important es que el sigue despertando intereses variados en ambas partes.