mercredi 15 juillet 2009
IVRE VIVRE, ANNA PRUCNAL
Au festival d'Avignon je croise des chanteuses ( Jane Birkin présentant son film à Utopia, Caroline Loeb tractant pour son spectacle) et je ne vais finalement pas au théâtre!
Vingt ans après l'avoir découverte je réussis à voir Anna Prucnal sur scène, dans la petite salle intimiste du Petit Louvre. Qui est Anna Prucnal? Pour résumer, une chanteuse et actrice polonaise exilée en France depuis près de 40 ans. De descendance aristocratique, gitane et juive (sic!) elle a travaillé pour la scène et l'écran pour des noms aussi prestigieux que Fellini, Vadim,Wadja, Deville, Lavelli, Planchon, Barrault etc... Son époux le poète et metteur en scène Jean Mailland lui écrit des textes magnifiques déclinant les thèmes de la révolte, la passion, la folie, la nostalgie et l'exil qu'elle mêle dans ses albums à ceux de Brecht, Pasolini, Maïakovsky... Sa voix est une des plus belles que j'ai jamais entendues :gutturale, profonde, éraillée, roulant des r et partant vers des hauteurs déchirantes,lyriques. Une de ces voix slaves par définition qui charrie des histoires, des folies, des mystères et des cris extrêmes. Sa beauté et sa présence, son don d'elle-même l'ont conduite sur les scènes du monde entier.
Mais les fées qui président au destin des chanteuses sont parfois cruelles. Retrouver la Prucnal dans une salle de 85 places au milieu des 1000 autres spectacles du festival d'Avignon, c'est la voir confrontée à une autre forme d'exil, celui des petites productions qui tiennent à si peu, de la chaleur accablante de l'été qui fait ruisseler les artistes et s'éventer un public pressé de courir à un autre show. Mais la Prucnal est là, survivante et dégoulinante, avec son poète de mari récitant sur un fauteuil des « contre-chansons » avant qu'elle ne lui arrache le micro pour s'abandonner à ses propres hymnes. Car dès qu'Anna chante on est dans la célébration. Sa voix est encore là qui murmure, caresse ou lacère. Elle s'arrache les tripes pour faire survivre son art, son ménage,son coeur, sa vie. Le récital, il faut l'avouer, a quelque chose de pathétique, d'émouvant, une dimension qu'on craint testamentaire. Je retrouve les accents des enregistrements du récital 88 sur les plus emblématiques comme « Les voleurs de joie », « Ivre vivre », « la fou de la forêt »...
On pense à Barbara ou Piaf dans les derniers concerts, le corps détruit, la voix arrachant ses derniers effets, mais la force vive et intacte, la foi et le plaisir d'interpréter toujours présents. Le récital a des côtés décadents; le piano unique qui accompagne évoque les cabarets de Kurt Weil; la chanteuse désolée d'avoir vieillie et minaudant parfois, salue avec la grâce et le désespoir des tragédiennes. On est ému mais pas forcément pour les raisons que l'artiste espère. L'émotion naît de ce que la vie et l'art de Prucnal font corps une fois de plus dans les difficultés de l'âge, des combats quotidiens pour se produire, du lent et inexorable déclin qui nous incombe à tous et contre lequel elle lutte sous les projecteurs. C'est beau aussi d'être là avec ses textes et sa voix et d'offrir un spectacle qui n'est plus celui des grandes années de gloire, mais qui a le charme de l'authencité et les éclats d'un crépuscule.
A la fin je joue les midinettes absolues et vais baiser la main de Madame Prucnal avec qui je trinque à la vodka qu'elle offre aux spectateurs attardés. Elle me regarde étonnée de voir quelqu'un d'encore jeune parmi son public de nostalgiques de son âge et me dit « la nouvelle génération? ». Quant elle apprend que je vis à Buenos-Aires elle insiste pour que j'aille y saluer sa soeur qui s'y est établie comme beaucoup de Polonais. On rêve ensemble de la voir sur une scène portègne chanter des tangos! Je la quitte heureux du récital et de la rencontre, avec l'envie de finir le verre de vodka et de chanter ma nostalgie « avant qu'elle ne m'étouffe, avant qu'elle ne me bouffe, jusqu'à mon dernier cri »
http://www.youtube.com/watch?v=-A8PCDoA7yA&feature=related
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