Depuis que vous avez traversé le miroir et retrouver la Princesse aux gants de plastique et Jean le prince des poètes, les vicissitudes des pauvres mortels doivent vous sembler bien dérisoires. Qu'il doit être doux de partager enfin cette amitié étoilée, ce plaisir "d'aimer et d'être aimé, oui, mais par la même personne"! Comme je vous imagine heureux reposant votre tête de faune apaisé sur un nuage de fumée d'opium, dans la prairie légère du ciel alors que la main de Jean dessine avec grâce votre éternel profil. J'entends encore votre voix comme le ronronnement d'un lion quand vous répondiez à mes questions dans votre loge de théâtre. J'avais quinze ans à peine, j'avais lu les lettres que Jean vous avez adressées, je jouais avec des amis le rôle de Michel créé pour vous dans "Les parents terribles" et avec mon petit micro je m'étais infiltré parmi les journalistes de la conférence de presse pour voir de prés vos yeux toujours beaux de noble octogénaire, pour être vu par ces yeux qui inspirèrent tant d'amour à celui que je considérais alors comme mon mâitre. Vous m'avez regardé aimablement et avez répondu à mes questions maladroites qui portaient davantage sur Jean que sur vous-même, mais comme vous avez toujours mis en avant son génie plutôt que tous les talents dont avec raison il vous voyait paré, vous ne m'en tîntes pas rigueur, bien au contraire. Le moment le plus troublant de l'interview fut pour moi celui où vous interrompîtes la question d'une journaliste de La Provence, fascinée par Fantomas, pour vous tourner vers moi avec votre mèche éclatante et me demander: "C'est vous qui jouez le rôle de Michel?" Alors devant mon acquièsement et mon embarras d'adolescent que tous les journalistes se mirent à dévisager, vous m'avez dit :"Mais allez-y, donnez-vous entièrement à ce rôle et à tous ceux que la vie vous demandera de tenir. Vous serez parfait si vous y croyez et que vous le faites avec passion". Ces rôles, pas toujours terribles, que la vie m'a demandé de tenir, je continue de vouloir les assumer avec cette passion qui brûle, celle du voleur de feu dans l'appartement incendié, et c'est, je peux vous le dire encore aujourd'hui grâce à des figures comme la vôtre que je crois au panache, au coup d'éclat, à la splendeur qui font pourtant de plus en plus défaut sur cette terre. Il me suffit de revoir vos films pour ne pas laisser dépérir en moi la Bête amoureuse et pour descendre explorer mes zones les plus sombres dont je veux ressortir en Orphée triomphant. Votre visage de jeune homme et votre voix rocailleuse de monstre sacré me signalent un chemin qui va de la grâce innocente vers la gravité sereine. Je me tiens entre les deux, si maladroitement, voyant disparaître d'un côté la naïve énergie qui me faisait croire en mes rêves alors que de l'autre côté, je ne vois rien de sûr ni de sage qui se profile!
Eclaircissez-moi donc un peu le chemin et dissipez les ombres d'un grand éclat de rire. Dites à Jean de faire briller son étoile un peu plus fort au dessus de ma tête. Je vous le demande à vous car je sais qu'il ne sait pas résister à la moindre de vos requêtes. Soyez mon complice Jeannot, dites-moi que vous le voulez bien? Je signe ici du nom sous lequel vous m'avez connu, et qui est aussi le vôtre pour toujours...
MICHEL
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