Mon premier contact avec l'oeuvre de Carlos Alonso, peintre argentin né à Mendoza, se fit dans les premiers jours de mon installation à Buenos-Aires il y a trois ans. Une de ses lithographies (voir en haut) appartenant à la série "Manos anonimas" ornait un mur de l'appartement meublé où je m'installais. Au bout de trois jours je décidai de retirer ce cadre de ma vue. Trop dure, trop violente cette image d'un enfant hurlant alors que des agents de la dictature rentrent par effraction dans l'appartement de ses parents pour les ajouter au tribut des 30 000 disparus que comptera l'Argentine sous l'ère des militaires. Pas le genre de décoration qu'on a envie de contempler en prenant chaque matin son petit café. Trois ans plus tard, c'est à dire il y a un mois, j'ai l'occasion au cours d'une visite du Palacio Ferreyra, somptueux centre d'art de Cordoba, de tomber sur l'expo et sous le choc de la série complète dont cette lithographie était extraite. "Manos anonimas" est un ensemble de dessins et peintures où Alonso expose ce moment crucial de l'enlèvement de femmes et d'enfants par les militaires en civils, types patibulaires aux faces de mafiosi qui attrapent, tâtent, torturent les corps arrachés à la douceur du foyer. Certaines illustrations sont vraiment insoutenables de cruauté et crudité ( au sens de la viande crue). Quand on sait que la propre fille d'Alonso, en exil sous la dictature, a elle-même été portée disparue, euphémisme politique, on touche à la douleur d'un père, d'un citoyen, d'un homme. Cette irruption de l'Histoire dans la vie privée, ce viol de l'intime par un élément du collectif est parfaitement rendu par le travail du peintre qui recrée des scènes de rapt et de meurtre avec un hyper-réalisme où prédominent le corps martyrisé, le cri, la convulsion, l'horreur.Tout est cependant stylisé par le trait épuré et les couleurs criardes que le peintre distribue dans un espace qu'il maintient souvent comme inachevé.


1 commentaire:
Un tigre sigiloso pasó por aquí.
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