Le beau film de Téchiné "J'embrasse pas" est une œuvre où le discours amoureux, au sens le plus littéral, tient peu de place: les sentiments ne s'y expriment guère, tout y est question de chair, d'argent, de coups, de fuites... Pierre ( Manuel Blanc), jeune provincial à la fois trop pur et trop obtus, monte à la capitale pour tenter sa chance. Il rêve comme beaucoup d'être acteur. Il finira au terme de banales mésaventures et rencontres interlopes dans les sous- bois de la prostitution. Enragé et vindicatif, il confondra les parrains bienfaiteurs avec des ogres, les princesses de la nuit avec des putes, la déchéance avec la liberté.
Ce récit initiatique moderne est filmé par Téchiné avec sa grâce habituelle à saisir les émotions fugitives, à faire sonner les répliques comme des gifles, à capter le clair-obscur dans lequel les êtres se croisent et se blessent sans jamais vraiment pouvoir se retrouver.
Emmanuelle Béart y exhibe avec un impudeur magnifique toute sa beauté et sa vulnérabilité. Philippe Noiret y campe un quinquagénaire mélancolique et émouvant auquel "il ne reste plus que les gigolos" selon la triste formule de Roland Barthes qui inspira ce personnage. Le scénario est co-signé entre autres par Jaques Nolot, double possible dans la vie réelle du jeune prostitué Pierre). C'est ici l'occasion de citer quelques phrases des célèbres "Fragments du discours amoureux" de Roland Barthes.
"Savoir que l’on écrit pas pour l’autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j’aime, savoir que l’écriture ne compense rien,ne sublime rien, qu’elle est précisément ” là où tu n’es pas",c’est le commencement de l’écriture…”
"Je t'aime. Passé le premier aveu, "je t'aime" ne veut plus rien dire ; il ne fait que reprendre d'une façon énigmatique, tant elle paraît vide, l'ancien message (qui peut-être n'est pas passé par ces mots)."
"Comme jaloux, je souffre quatre fois : parce que je suis jaloux, parce que je me reproche de l'être, parce que je crains que ma jalousie ne blesse l'autre, parce que je me laisse assujettir à une banalité : je souffre d'être exclu, d'être agressif, d'être fou et d'être commun. "
"Le langage est une peau: je frotte mon langage contre l'autre.C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir."