J'adore Demy et "Une chambre en ville" m'avait marqué à la télévision dans les années 80. J'en garde des images fortes: Dominique sanda nue sous son vison, Darrieux picolant en chantant" tu me prends vraiment pour une conne!", Piccoli et son coup de rasoir très réussi, Berry charmeur et les manifs à Nantes "flicaille, racaille!"... Tout cela je l'ai retrouvé intact et c'est avec plaisir que le film s'est enchassé dans l'oeuvre du cinéaste que je connais un peu mieux à présent.
En effet cet opus sombre, désespéré, violent et asphyxiant comme les gaz lacrymogènes qui envahissent les rues de la ville est une sorte de somme des obsessions de Demy portées à leur paroxysme. L'obsession lyrique tout d'abord se fait ici radicale avec ces dialogues chantés sans interruption, entre mélodie discrète et récitatif permanent. Cela nous maintient à la frontière du réalisme (le film est extrêment politique et social) et de "l'en-chantement" cher au réalisateur. Obsessions thématiques aussi avec le rapport conflictuel fille-mère, la déchéance sociale, l'amour trompé et impossible, la violence des passions, et le bonheur idyllique ( dirait Varda) aussitôt contrarié.
Tout cela est profondément tragique et sans issue comme chez Sophocle ou Racine ( à la sauce mélo!) et permet de libérer la parole et d'accomplir le destin de chaque personnage. Obsessions stylistiques enfin avec en vrac : les chambres d'hôtel à la Lola, les peaux de bêtes (âne ou vison), les boutiques et les intérieurs soignés style bon bourgeois ou gentil prolétaire, les bourgeoises attachées à leurs meubles, les jeunes hommes happés par le monde, les vierges abandonnées... et on aperçoit même des matelots qui traînent dans un parc!.. C'est qu'avec Demy on pénètre dans une oeuvre totale, un univers clos vivant de ses propres références et de leurs incessantes variations.
Un univers auquel beaucoup sont du reste réfractaires : ils ne passent pas la barrière du jeu chanté qui n'est en fait qu'un sésame-ouvre-toi, un test d'initiation extraordinairement efficace ou répulsif mais qui enchantent doublement les spectateurs qui s'y abandonnent.