dimanche 11 janvier 2009

MELANCOLIE D'ORIENT

De retour d'une semaine à Istanbul, je ne rapporte pas des sensations de chaleur orientale ni de lumière méditerranéenne car les pluies et le froid de janvier m'ont plutôt transmis l'image d'une ville grise et nocturne, laquelle ne manque pas de charme pour autant.
Par chance cette vision d'une Istambul triste et mouillée de larmes (vision qui m'enchante!) correspond à celle que décrit le grand écrivain turc Orhan Pamuk dans Istanbul, récit autobiographique et chronique de la cité de sa jeunesse, en proie à la décadence et à l'hüzün. Ce mot désigne entre autres choses, un sentiment de mélancolie, de nostalgie nourrie par l'idée d'une splendeur perdue, d' une tristesse collective qui se manifeste dans le corps de la ville comme une maladie dont les stigmates seraient les ruines, les palais incendiés, les vieux quartiers délabrés, la misère et la décadence généralisée.
Bien que la cité ottomane m'ait fait une très forte impresson sur le plan des monuments ( mosquée, sérail, harem, cathédrale etc...), bien qu'elle me semble une parfaite synthèse d' une certaine modernité occidentale et du charme oriental avec ses quartiers modernes et élégants... la grisaille météorologique, les rues désertées à la nuit à cause du froid et l'inertie sociale propre au mois de janvier ont bien mis en relief cette hüzün auquel Pamuk consacre énormément de pages. Son ouvrage qui entrecroise les thèmes de l'enfance et de l'histoire collective soulève une nostagie qui est la vraie richesse de la ville et qui conduit le petit Orhan a devenir un apprenti peintre puis le grand écrivain couronné par le prix Nobel qu'on connaît. On sent qu'il essaie de recréer ce que Pessoa a fait avec Lisboa et la saudade: irriguer une cité d'un flux poétique, la doter d'une essence comme Baudelaire le premier avait su chanter le spleen de Paris.

Grâce à ses lignes, ma vision d'Istanbul qui aurait pu être déçue sur le plan du profit touristique (exotisme, énergie récréative, clichés colorés) en est ressortie marquée par une esthétique en demi-teintes et une foule de sensations charmantes : images brumeuses du Bosphore et de ses bateaux à vapeur aux fumées noires, déambulations de silhouettes fugitives par les rues aux lueurs poisseuses de Sultanahmet, foule grise et pressée de Beyoglu encombrant les vieux passages style Belle Epoque, volutes de nargile ou de buée des hammams... Autant de visions que les illustrations du livre permettent de préciser. Pamuk a en effet choisi des peintures et gravures stambouliotes réalisées par des peintres étrangers en mission ou encore de nombreuses et magnifiques photographies du grand maître Ara Güler qui tel un Doisneau ou un Brassaï a capturé une époque et a aussi fixé l'imaginaire d'Istanbul dans ces images crépusculaires de la ville sous le brouillard, la pluie ou la neige.




Par ailleurs Pamuk enrichit sa vision de sa propre cité de celles fournies par les voyageurs lettrés que furent Nerval, Gautier et Flaubert qui ont tous longuement séjourné dans la cité ottomane, en quête de romantisme oriental.
Ainsi les meilleurs voyages se fon-ils toujours non pas dans les cités réelles que l'on arpente avec la frénésie du touriste voulant consommer del'exotisme facile, mais dans les topographies rêvées des cités de papier que les poètes ou peintres nous dessinent. L'Istanbul retranscrite par Pamuk m'a servi de réference majeure et m'a permis de vivre le phantasme d'une ville, de sentir flotter au dessus de l'Istanbul réelle, une Istanbul faite d'ombres et de halos plus séduisante encore.


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