Adapter ce roman d'André Gide est un défi que voulait relever depuis longtemps Benoit Jacquot. La reconstitution des années vingt et d'un certain milieu de la bourgeoisie protestante est remarquablement réussie. Melvil Poupaud incarne un Edouard, alter ego de Gide, avec un élégance de dandy et un soupçon de charme d'immoraliste très bien dosé. Jacquot, spécialiste de l'adaptation à l'écran de grands classiques, a choisi dans ce récit labyrinthique une narration éclatée mais en fait centrée sur un de ses thèmes de prédilection : l'initiation au domaine des passions (artistiques, sociales, amoureuses).
Chaque personnage mis en valeur dans le téléfilm passe par les étapes d'un apprentissage moral qui le conduit à discerner les vraies valeurs des fausses, les vraies affinités des "mauvaises influences", même si selon Gide "toute influence est mauvaise". Un pessimisme teinté de tragique se dégage de l'ensemble comme si toute possibilité d'émancipation et d'épanouissement était entravée par le malentendu général, la solitude égoïste des individus aveuglés par leur désirs ou leurs colères, la méchanceté intrinsèque au système familial ou social.
La falsification du monde, dénoncée par Gide et soulignée par Jacquot, semble une grande machine destinée à broyer les illusions de cette jeunesse se débattant à la recherche d'une nouvelle morale avec une ferveur toujours déçue. Et qui finit dans les larmes...
La falsification du monde, dénoncée par Gide et soulignée par Jacquot, semble une grande machine destinée à broyer les illusions de cette jeunesse se débattant à la recherche d'une nouvelle morale avec une ferveur toujours déçue. Et qui finit dans les larmes...
Le personnage du romancier, maladivement intéressé par les narrations d'autrui, occupe un statut plein d'ambigüité : il collabore aux processus de ses protégés, tire parfois les fils de leurs destins et face à l'inextricable, se retire avec la grâce désolée des spectateurs du pire.
Destiné au grand public, ce téléfilm a préféré éluder certains aspects de la sensualité gidienne ou du moins les a suggérés avec une pudeur un peu mièvre et hypocrite. Les amitiés particulières qui parcourent la trame de ce roman par ailleurs volontairement déstructuré et expérimental, en ressortent nimbées d'un flou artistique qui confère à l'ensemble une fadeur indigne de l'auteur des "Nourritures terrestres". Par ailleurs l'extrême jeunesse des acteurs qui ressemblent plus à des collégiens qu'à de jeunes bacheliers rend improbables certains de leurs modes de vie ( fugue sans conséquence, voyage à l'étranger, carrière littéraire au sein de revues d'avant-garde...). Qu'importe, on se consolera avec la qualité de l'interprétation de l'ensemble des acteurs et la beauté toute immorale de certains visages.