dimanche 7 août 2011

AU TEMPS DU BOEUF SUR LE TOIT



C'est parce que je m'intéresse à l'histoire du cabaret "Le boeuf sur le toit" que je consens à me plonger dans le livre de souvenirs écrits à ce sujet par Maurice Sachs, écrivain infréquentable comme on le sait. Et là, me voilà rapidement séduit par ce journal des années folles qui fait revivre avec une plume acerbe et un regard perspicace les grandes soirées artistiques et mondaines d'une époque à la fois fascinante et absurde. Sachs y révèle un tempérament de jeune snob romantique et épris de culture, ami des gloires parisiennes que furent Cocteau, Chanel, Max Jacob, Gide etc...



On le voit doué d'un flair inoui qui lui permet en 1919 de deviner en Proust le romancier du siècle, de célébrer Dada si décrié, d'acheter par goût littéraire et sens de la spéculation les éditions originales des jeunes loups de la NRF et les toiles des peintres pas encore à la mode. Un mal de vivre s'esquisse à la fin de l'ouvrage où l'on sent croître le vertige de l'ennui dans ce tourbillon de fêtes et cette frénésie d'art nouveau. L'ombre de la crise de 1929 commence à plâner sur Paris qui a la gueule de bois.




Je ressors ébloui par ce journal où Sachs apparaît comme un témoin magnifique d'une époque si fertile en talents, où je pense le découvrir dans la sincérité de l'écriture autobiographique, loin de cet image d'escroc et de salaud dans laquelle la postérité l'a figé.





Hélas, je découvre que j'ai été dupé par ce charmeur ignoble et que ce journal est un faux, écrit après la crise, lorsqu'une fois ruiné, Sachs est pressé de vendre un manuscrit à un éditeur. Il rédige alors un copié-collé d'anecdotes plus ou moins authentiques, il trompe la chronologie et joue les pseudo-visionnaires a posteriori, il organise un récit de souvenirs plus ou moins fictifs où tout est calculé pour créer ses effets et où finalement tout empeste le mensonge, la pose, la fausse-monnaie littéraire. Loin d'être un génie incompris, Sachs n'est qu'un escroc par nature. Il suffit de lire sa biographie pour en avoir le coeur soulevé, tel qu'en rend compte l'excellent blogueur de Embruns dans cet article très complet:



Quand même, j'aurais été magnifiquement pris au piège moi-même. J'aurais bien voulu que ce journal fût vrai et que Maurice Sachs eût été un écrivain et un homme digne de ces noms.


2 commentaires:

Patrick Mandon a dit…

Ne soyez pas déçu, cher ami, vous abondez dans son sens : le très vilain Maurice aimait séduire, puis déplaire et, enfin, décevoir. Demeurez sur l'impression première que vous a laissé la lecture de son livre. Il y a des facilités, bien sûr, chez l'écrivain, et des répétitions, et combien de mensonges ! Mais il y a aussi de vrais bonheurs d'écriture.
Quant à sa mort, elle demeure un mystère complet. Je tiens de la bouche même d'un grand écrivain qui le connut, qu'il était encore en vie quelques mois après la guerre. D'autres témoins assurent qu'ils l'ont vu mort. Maurice Sachs fut entraîné dans les cercles de la trahison et de la vilenie, jusqu'à atteindre l'Enfer.
Cependant, il lui échappe, ici et là, des accents d'une vibrante sincérité.

Sébastien Paul Lucien a dit…

Merci Patrick pour ces précieux éclaircissements. Vous avez raison, la supercherie littéraire et existentielle est une figure de style chez Sachs.Et avec quel talent et quelle cruauté l'accomplit-il!