Depuis des années je cherche à me plonger dans "L'orgie perpétuelle"... Je parle bien évidemment de l'essai littéraire que Mario Vargas Llosa a consacré à Flaubert et à son roman "Madame Bovary". Curieusement introuvable en Amérique du sud, c'est chez Gallimard du monde entier que je le déniche enfin. Pour mon plus grand plaisir ou pour ma plus grande jouissance masochiste rectifierait Lacan?.. car il est surtout question ici de s'enfoncer dans la spirale des exquises douleurs flaubertiennes et de se pencher narcissiquement sur Emma pour lire sur son visage blanc et teinté d'encre un reflet du nôtre.
Il s'agit d'un ouvrage dense et composé en trois parties: d'abord une confession de l'auteur sur son coup de foudre et son amour indéfectible pour l'oeuvre lorsqu'il étudiait à Paris au quartier latin des auteurs latinos. Ensuite, tel un Sartre péruvien, le beau Mario se livre à une analyse très méticuleuse de la gestation du roman ( un accouchement de cinq ans!) et à une étude stylistique et narratologique impeccable. Enfin, l'auteur propose une réflexion plus large sur la place du chef-d'oeuvre dans la littérature universelle et son rayonnement jusque dans la modernité. Ouf! une vraie immersion dans l'univers de Flaubert, ses obsessions de créateur, sa patience de moine, sa rage littéraire...
On en ressort à la fois avec le mental assombri par tant d'amertume et de misanthropie, mais aussi avec le coeur revigoré par les élans de passion dont l'ermite de Croisset sut faire preuve toute sa vie durant. Entre la noirceur de sa vision de l'humanité et la ferveur baroque qu'il déploie pour la peindre, on navigue dans le paradoxe flaubertien, dans ce va-et-vient qui était aussi celui d'Emma et que d'autres nommaient "le mal du siècle" ou encore "les intermittences du coeur".
En effet, c'est bien de coeur qu'il est question chez Flaubert, malgré l'hypertrophie de l'intellect et les appétences fulgurantes de la chair qui le caractérisent. L'opiniâtreté qu'il met à juguler les débordements de sa sensibilité romantique et à la canaliser par un travail acharné dans l'écriture réaliste a pour fruits ces romans où les sentiments sont voués à une douloureuse rééducation et où le coeur est pressé comme une orange amère.
Le bovarisme n'est-il pas du reste la maladie romanesque par excellence? Elle se contracte par la lecture de mauvais romans, manifeste ses symptômes dans une tendance pathologique à vouloir vivre selon les fictions de son imagination, et se retrouve diagnostiquée et prévenue dans un roman à la lecture contagieuse ? C'est un peu tout cela que le docteur Vargas Llosa cherche à expliquer, avec la passion de l'adulateur et l'érudition qu'on attend d'un homme de lettres. Ce bel ouvrage qui fait se succèder la déclaration d'amour fervente et la dissection clinique de l'écriture est une invitation permanente à se replonger dans le roman. Par ses qualités de critique, Vargas Llosa incarne l'enthousiasme contagieux d'Emma et la rigueur scientiste de Charles, mais il réussit lui à ce que ces deux qualités ne se convertissent jamais en défauts, en les transcendant, comme son maître, par le truchement de la littérature.
1 commentaire:
J'ai bien aimé ton billet. Mais les citations de Flaubert... ce n'est pas de la jouissance mais du plaisir!!
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