vendredi 29 mai 2009

UNE EDUCATION LIBERTINE, UN ROMAN FLEUVE


Le premier roman de Jean-Baptiste del Amo ( 26 ans) a été la sensation de la rentrée littéraire 2008. "L'éducation libertine" est un gros roman d'apprentissage à la Balzac ou Flaubert avec pour cadre historique le Paris nauséabond et poudré du 18ème siècle. Gaspard jeune provincial monté à Paris sans talents particuliers va en quelques saisons passer de la fange au boudoir via les servitudes imposées à son corps. Traînée, exploitée, avilie, adorée et martyrisée, sa jolie carcasse sera son sauf-conduit vers les cimes de la société.

Cet itinéraire façon Bel-Ami homosexuel donne à ce brillant auteur l'occasion de déployer une débauche d'effets de styles et de morceaux de bravoure descriptifs qui stupéfient puis fatiguent. L'excès de zèle et la surcharge sont souvent les défauts des premiers romans, certes, mais ici on sent une complaisance et une insistance un peu sadique ( le marquis n'est jamais très loin!) dans la surenchère de détails sordides, organiques, sensoriels et scatologiques... A la manière de Suskind et de son "Parfum" , del Amo prend plaisir à tout disséquer et à recomposer la moindre note olfactive d'un Paris empuanti par toutes sortes de remugles. Cette rage de nous innonder de sensations fortes et de saturer les pages d'odeurs pestilentielles et de contacts crus et brutaux, explose dans les descriptions-tunnels consacrées à la morgue où les cadavres pourrissent, aux abattoirs où la viande saigne, à la place de Grève où les éxécutions rassemblent des foules avides de violence, au lit de la Seine qui charrient des corps de suicidés... Ces passages semblent parfois relever de l'exercice pour virtuose littéraire qu'est incontestablement del Amo, mais ils lassent immanquablement. Il ya un plaisir sombre et régressif à écrire ces pages-là, mais pas à les subir. Je préfère quand l'auteur nous offre une scène sexuelle où son art devient plus impulsif, plus direct et il y en a quelques -unes, notamment avec ce double de Valmont et Vautrin qu'est le comte Etienne de V, ou avec le jeune palefrenier pris d'assaut, qui valent la relecture!


Gaspard Ulliel serait parfait dans le rôle du Gaspard del Amo


Par ailleurs la fulgurante évolution sociale du jeune apprenti ignare et lourdaud qui se métamorphose en bel esprit de salon est mal rendue et apparaît invraisemblable. Du lupanar au grand monde il n'y a qu'un pas ou qu'un saut, mais les ellipses de l'auteur sur cette mutation affaiblissent le récit.

L'intérêt du roman repose je crois dans la description "du vice français" qui s'il a été universellement pratiqué a rarement eu sa place en littérature avant le 20ème et Proust ( duquel del Amo se réclame). Traiter le thème de l'homosexuel dépravé prostitué façon Jean Genet (influence plus notable dans les raffinements de style baroque) mais le faire avec un style réaliste et naturaliste appliqué à un siècle des Lumières où soufflent les esprits de Diderot, Sade et Rousseau, voilà l'originale synthèse de cette oeuvre.

On se laisse embarquer, c'est vrai, car malgré sa pesanteur et sa densité de fleuve en crue (images aquatiques récurrentes), le récit nous charrie dans son flux et ses courants comme peu de romanciers y sont parvenus depuis longtemps. Depuis les grands romans de Tournier, je n'avais pas senti dans la littérature française pareille virulence ni profondeur dans le choix des thèmes ni l'exécution. On attend avec impatience les prochains ouvrages, dégraissés et condensés de Jean-Baptiste del Amo, dont le nom lui-même semble surgi d'un roman-fleuve.





A découvrir une petite interview de l'auteur aux yeux fascinants qui a , belle surprise, un amusant accent languedocien!

http://culturebox.france3.fr/all/3214/Une-%E9ducation-libertine-de-Jean-Baptiste-Del-Amo/#/all/3214/Une-éducation-libertine-de-Jean-Baptiste-Del-Amo/


Aucun commentaire: