Avec ce titre Alberto Manguel nous rappelle surtout combien l'art de la fiction déborde du simple talent du narrateur pour contaminer nos existences. Chaque point de vue sur soi ou les autres est soumis à la tyrannie de notre subjectivité et aux tirs croisés des subjectivités voisines ou adverses. Pour démontrer ce règne du mensonge dans nos discours et de la déformation du réel constitutive de notre perception, Manguel donne la parole à différents narrateurs qui chacun à leur manière nous renseignent sur la personnalité mystérieuse du protagoniste absent Bevilacqua.
Argentin, prisonnier politique, exilé, figure littéraire en Espagne.... tous ces clichés sont vite désamorcés par la polyphonie romanesque et plus les voix narratives s'expriment sur ce personnage plus complexe et fallacieuse se révèle la figure de ce dernier. Imposteur, faussaire, inculpé et torturé par erreur, vrai mythomane.... Bevilacqua devient une figure de l'ironie tragique, du malentendu fondamental. Là où Manguel excelle c'est dans ce jeu avec les codes narratifs, la reconstitution fragmentée et labyrinthique du récit de vie qui n'est pas sans rappeler l'ironie de son maître Borges.
C'est finalement à un brillant exercice de style sur l'art du roman et les jeux de miroir de la fiction que nous invite l'écrivain (argentin d'origine israélienne, naturalisé canadien mais vivant en France!). La littérature comme la vie n'est qu'un réseau de signes difficile à démêler, une conjonction de hasards et de nécessités que nous essayons de lire sans jamais parvenir à en résoudre l'énigme.
"Je me dis à présent que la vie de Bevilacqua ne fut qu'une ébauche de vie. En termes littéraires, elle n'est qu'un recueil de fragments, de bribes, d'épisodes inachevés. N'importe lequel d'entre eux aurait fait un bon début pour un grand roman de mille pages, profond et ambitieux. La biographie que je vous raconte, en revanche, est à l'image du personnage, hésitante, indéfinie, inepte. Je vous ai prévenu dès le départ: je ne suis pas la personne indiquée pour vous raconter tout cela."
( mentira!)
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