Extraits de " De l'utilité et l'inconvénient de vivre parmi les spectres"
in NUDITÉS de Giorgio Agamben
"Venise ne parvient plus qu'à émettre des murmures. Ce sont ceux d'un spectre. Il surgit à l'improviste pendant une promenade nocturne, quand au passage d'un petit pont, le regard glisse le long du rio plongé dans l'ombre, vers une fenêtre lointaine qu'éclaire une lueur orangée et que, sur un autre pont identique, un passant qui regarde lui tend un miroir embrumé."
"Et c'est encore ce même spectre que l'écho invisible d'une dernière note de lumière tenue à l'infini sur les canaux permettait à Marcel d'apercevoir sur les reflets des palais dans leurs atours toujours plus sombres."
"La spectralité est une forme de vie. Une vie posthume ou complémentaire, qui commence une fois seulement que tout est fini et qui a donc, par rapport à la vie, la grâce et l'astuce incomparable de ce qui est achevé, l'élégance et la précision de qui n'a plus rien devant soi. Ce sont des créatures de ce type qu'Henry James a appris à connaître à Venise, tellement discrètes et fuyantes que ce sont toujours les vivants qui viennent envahir leur demeure pour forcer leur résistance."
"La ville et la langue renferment la même utopie et la même ruine, nous nous sommes rêvés et nous nous sommes perdus dans notre ville comme dans notre langue, et elles ne sont rien d'autre que la forme de ce rêve et de ce désarroi."
"Si nous comparons Venise a une langue, alors habiter Venise c'est comme étudier le latin, essayer d'ânonner une langue morte, apprendre à se perdre et à se retrouver dans les ruelles des déclinaisons et dans les ouvertures imprévues des supins et des infinitifs futurs. La langue morte, en vérité, est comme Venise, une langue spectrale, dans laquelle nous ne pouvons pas parler, mais qui à sa façon, sait frémir et faire signe et susurrer."
1 commentaire:
Una ciudad que mire como se mire es un puro reflejo de pasadas glorias.
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