J’entame ici une escapade dans l’univers de Marcel Proust et les peintres qui l’ont inspiré et dont on trouve la trace autant dans sa vie que dans La recherche. Plus de 250 peintres sont cités dans l’ouvrage ! Jamais romancier n’avait assigné pareille importance à l’univers pictural au point de faire de ce roman autobiographique, un véritable document de critique d’art. Vermeer, Rembrandt, pour les flamands, Giotto, Carpaccio, Botticelli pour les italiens, les références parsèment la narration et donnent lieu à de longues digressions admirables qui ont permis aux contemporains de Proust de repenser leurs références à une époque où l’expressionnisme puis le cubisme viennent tout bousculer. En homme de la fin du siècle cultivant une passion pour les cathédrales romanes ou les aspects byzantins de Venise, l’avant-gardisme pour Proust se limitera à défendre les audaces des post-impressionnistes dont on aime à répéter parfois qu’il en est la traduction littéraire.
Mais au delà du plaisir de la citation propre à un amateur très éclairé, les abondantes références aux maîtres de la peinture classique occupent dans l’œuvre un rôle essentiel par le jeu de miroir qu’elles créent entre les époques. L’art n’est qu’un prisme, permettant de voir et de comprendre mieux ce qui relie le passé au présent, ce qui dans la contingence des évènements continus révèle l’éternité. Les chefs-d’œuvre du passé se superposent ainsi aux scènes de la vie quotidiennes pour en révéler le caractère esthétique et la dimension universelle tout en intervenant aussi comme des agents dramatiques dans l’intrigue.
Mais au delà du plaisir de la citation propre à un amateur très éclairé, les abondantes références aux maîtres de la peinture classique occupent dans l’œuvre un rôle essentiel par le jeu de miroir qu’elles créent entre les époques. L’art n’est qu’un prisme, permettant de voir et de comprendre mieux ce qui relie le passé au présent, ce qui dans la contingence des évènements continus révèle l’éternité. Les chefs-d’œuvre du passé se superposent ainsi aux scènes de la vie quotidiennes pour en révéler le caractère esthétique et la dimension universelle tout en intervenant aussi comme des agents dramatiques dans l’intrigue.
C’est ainsi que le dandy Charles Swann s‘éprend furieusement d’Odette une courtisane triviale « qui n’était même pas son genre » car il est soudain frappé par sa ressemblance avec la Zéphora peinte par Botticelli. La sensibilité artistique surprise par un déjà-vu, suscite une fixation érotique, et alimente une passion jalouse et dévorante qui s’achèvera une fois le trompe-l’œil
dissipé et les mirages de l’amour enfuis.
Les êtres mais aussi les lieux participent de cette glorification des images. En effet les principaux territoires où évoluent la narration sont toujours des espaces sublimés par le souvenir ou le rêve et qui se synthétisent dans des visions picturales. A commencer par le mythique village de Combray pour l’enfance avec ses intérieurs en clair-obscur façon Chardin, ses jardins dignes de Monet, ses promenades au bord du fleuve de la Vivonne dont les nymphéas inspirés de Manet offre un « parterre d’eau » où le ciel changeant se reflète, métaphore parfaite de l’écoulement du temps.
Puis vient l’adolescence à Balbec, station balnéaire où sur des horizons maritimes à la manière de Whistler ou des Nabi se détachent les silhouettes de jeunes filles en fleurs. Venise la décadente, la cité la plus peinte entre toutes est à son tour un miroir liquide et confus pour un narrateur parvenu à la maturité. La mort elle-même ne pouvait surprendre l’amateur d’art que devant un tableau, comme c’est le cas pour le personnage de Bergotte, l’écrivain préféré du narrateur, qui meurt à la sortie d’un musée après avoir admiré « Vue de Delft » de Vermeer. Le détail du désormais célèbre « petit pan de mur jaune » au coin de la toile inspire à l’écrivain fictif une admiration et une amertume fatale : « c’est ainsi que j’aurais dû écrire, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleurs, rendre ma phrase précieuse comme ce petit pan de mur jaune. »
La peinture est donc considérée comme l’art majeur que la littérature essaie d’égaler en précision et en transparence. Ce soin que Proust portait au raffinement et à la fluidité soyeuse de ses phrases, ce tact et ce souci du détail dans la transcription des sensations, ces touches infinies pour saisir les nuances d’un sentiment, tout cela a valu à l’auteur le titre d’écrivain impressionniste. Il est vrai que Renoir qui aurait inspiré en partie la figure du personnage d’Elstir, le peintre de La recherche, est une référence incontournable dans l’univers proustien. Comme lui, mais avec des techniques spécifiquement littéraires Proust a cherché à capturer l’instant, à fixer les vibrations lumineuses et les zones d’ombres de l’âme, les oscillations du ciel ou les intermittences du cœur. Mais au delà des images toujours fixes obtenues par les peintres, l’écrivain apporte la dimension fluctuante du récit, la perspective mouvante du temps, le vertige de l’instabilité des choses et des êtres emportés dans une narration fleuve où tout s’anime, se mêle, se confond et se désagrège. C’est peut-être du côté du cinéma qu’il faudrait alors chercher des comparaisons, chez Renoir le fils, cinéaste inspiré qui aurait séduit Proust par son usage poétique et savant des images mobiles, lui qui enfant s’adonnait déjà à des séances de lanternes magiques sur les murs de sa chambre.
2 commentaires:
Enfin Proust est né dans ces textes...
Je viens de découvrir votre blog, tout à fait fortuitement. Belle découverte, j'y reviendrai avec plaisir. Sinon, j'aime beaucoup la teneur de ce billet proustien.
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