mercredi 12 novembre 2008

NOTRE MOITIE D'ORANGE

Alors que son nom me trotte dans la tête depuis pas mal de temps, alors que je découvre la semaine dernière son visage dans un documentaire où au cours d'une émission télé sous Giscard, il se fait appeler "madame" et "dégénéré" par un psychiatre taré, voici que je tombe sur un livre de poche usagé au fond d'une bibliothèque française d'Argentine portant son nom: Jean-Louis Bory. Auteur goncourtisé pour son premier roman "Mon village à l'heure allemande", professeur de Lettres Classiques à Henri IV, critique de cinéma illustre au "Masque et la Plume", militant de gauche et du FHAR, l'homme fut de tous les plaisirs et de tous les combats. Il fut un des rarissimes visages à porter en pleine lumière son désir d'une moitié d'orange masculine alors que la France franchouillarde se gaussait à "La cage aux folles". Il se suicida, effrayé par la décrépitude et anéanti par "une solitude sans intermittences" avant que Badinter ne dépénalise ce qu'il appelait délicieusement "son idée fixe"! Son ouvrage "Ma moitié d'orange" se lit avec curiosité et plaisir. Il connut un grand succès de librairie lors de l'été 72 qui me vit naître et c'est avec tendresse que je le lis aujourd'hui pour y découvrir les traces laissées par un prédécesseur et voir que mon pied y trouve une pointure adéquate... Certes le tout a un peu vieilli, cet essai en forme de monologue libre a un charme suranné surtout dans ses tournures à l'emporte-pièce et dans cette écriture juteuse, gourmande, farcie d'expressions savoureuses et de jeux avec la syntaxe... mais comme la plume alerte, "pressée" et acérée de Bory touche juste! (juste touchante, justement touché! )

Pour le plaisir un florilège d'oranger:
"Je lance mes livres, à la fois sondes et filets, bien le diable si je ne réussis pas à détecter d'autres comme moi."
"Je n'ai pas cessé de rêver à ma moitié d'orange. Non plus âme soeur. Corps frère alors?"
"Nous sommes les pires ennemis de notre liberté. Pas moi. Jamais connu de vrais drames avec moi-même. Il me manque le sens du pêché. C'est plus qu'une chance: une bénédiction."
"Visage. Lumière. Les deux mots que je préfère. L'essentiel pour moi étant de faire coïncider visage et lumière. La lumière, c'est le monde qui se fait vivant. Regard vivant. Peut-être est-ce cela l'amour?"
"Je n'ai pas peur de vieillir, j'ai peur de vieillir mal. J'ai peur que mon idée fixe se prenne à tout gâter comme le vers dans la pomme. J'ai peur que fouetté par la terreur d'une solitude sans intermittences, mon goût de la complicité ne dégénère en complaisance coupable. J'ai peur que ma vieillesse ne soit laide. D'une laideur interne. Que l'usure causée par l'intensité même de ma quête, jointe au tourment d'un isolement définitif - l'île déserte jusqu'à la fin de mon temps- ne me ronge comme une lèpre."
"L'admirable dans le métier de professeur c'est de faire lever le jour dans des visages : j'appartiens à une famille d'éclaireurs de visages."
"Ecrire c'est l'art de faire boîter. Je voudrais que mes livres soient des échardes."
"Ma petite soeur l'Inquiétude, fontainier de nos songes. C 'est elle mon plus sûr espoir. Et vers l'Autre mon plus court chemin."
"Le bonheur existe: équilibre fragile entre une exigence sans cesse rafraîchie et la sagesse, entre l'inquiétude et l'art de vivre."
"Il m'arrive de penser en pessimiste, j'agis toujours en optimiste. Je fais comme si. J'aime la vie."





JEAN-LOUIS BORY

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