Avec "Music-Hall", cette pièce de Jean-Luc Lagarce est peut-être celle qui m'a le plus interessé. L'impeccable et désopilante Estela Medina qui tient le rôle unique, imite directement la reine cathodique argentine Mirtha Legrand, dans un décor aussi bourgeois et décalé que le texte lui-même. Ce long monologue d'une conférencière venue nous enseigner les régles de l'urbanité et du bon ton de la naissance à la mort est une satire profonde, emprunte d'un grand sérieux, sur les us et coutumes d'une sociète dite moderne mais dont chaque trait nous semble absolument désuet et obsolète, façon de signifier que nos propres règles en vigueur ( ou ce qu'il en reste) sont elles-mêmes frappées d'absurde sans que nous y prêtions vraiment garde.
Naissance, baptême, fiançailles, mariages, noces d'argent et d'or, funérailles... tout le rituel social des étapes existentielles est passé au peigne fin des conventions et des bonnes manières avec les effets de répétition, les distorsions et dérapages qui caractérisent le style de Lagarce et amènent le rire et la réfléxion. Ce goût de la convention et du sarcasme, ce jeu avec le langage et le code caractérisent son théâtre qui ne nous épargne pas pour autant certaines longueurs ou temps morts qui semblent en fin de compte faire partie de sa stragégie d'usure et de ressassement avec le spectateur. L'auteur s'explique on ne peut mieux sur sa pièce dans le texte suivant.
"Il existe un livre, ce livre règle tout, en toutes circonstances il ordonne tout, il propose une solution pour tous les instants de la vie, il organise et rassure. C’est un livre absolu. Il explique comment naître, comment être parfaitement en harmonie avec le Monde dès le premier jour, comment aussi ne commettre aucun impair devant la naissance des autres, comment découvrir la vie – combien d’étrennes, quel cadeau – quelle attitude avoir le jour de votre mariage – on recommandera à la jeune épousée d’éviter tout autant une pruderie outrée qu’un aplomb excessif – comment organiser un plan de table, comment prouver son amour à l’être aimé et connaître les mots qu’on doit lui dire pour le lui prouver, comment remercier et savoir demander, comment rendre et obtenir, combien donner et quoi prendre. Et puis aussi, et ce n’est pas rien, comment mourir, que dire, que faire, comment s’en aller sans complications, là encore, parfaitement se tenir et ne pas manquer son rôle et son texte et comment ne commettre aucun impair lorsque ce sont les autres qui meurent.
La dame lit ce livre. Elle dit les convenances, les usages, les manières, les règles, les bienséances, l’étiquette, le protocole, les recommandations, le ton et l’ordre."
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